Voyage humanitaire au Togo avec l’association SMAO, partenaire de l’ASC

Un engagement humanitaire et médical

En janvier 2025, l’association française SMAO (Santé Mentale en Afrique de l’Ouest) a organisé un voyage humanitaire de deux semaines au Togo en collaboration avec l’association d’Afrique de l’Ouest Saint-Camille-de-Lellis. Cette mission visait à renforcer la formation en psychiatrie des soignants locaux et à améliorer la prise en charge des patients souffrant de troubles psychiques.
Dans cet article Solène Cormier, interne en psychiatrie au Centre Hospitalier Saint Jean de Dieu (Lyon), propose un retour sur la mission qui a été effectué. Elle propose à travers son témoignage un éclairage sur la réalité des soins psychiatriques dans des conditions extrêmement précaires.

L’engagement de l’association Saint-Camille-de Lellis dans la prise en charge des troubles en Afrique de l’Ouest repose sur un modèle de psychothérapie institutionnelle, axé sur la réhabilitation socio-professionnelle.

Une équipe pluridisciplinaire au service des plus vulnérables

L’équipe engagée dans cette mission est composée de cinq professionnel·le·s de santé spécialisé·e·s en psychiatrie :
Dr Justine Liothier, psychiatre et secrétaire de l’association SMAO
Claire Fabrega, Infirmière de Pratique Avancée (IPA)
Nadia Sapelier, infirmière diplômée d’État (IDE)
Laura Cattani, interne italienne en psychiatrie
Solène Cormier, interne lyonnaise en psychiatrie

Ils ont été accompagnés par Bernard, employé béninois de la Saint-Camille, qui a assuré les déplacements en tant que chauffeur.

L’Association Saint-Camille-de-Lellis (ASC) : Un modèle de psychiatrie institutionnelle et de réhabilitation psychosociale :

Créée en 1991 par Grégoire Ahongbonon, l’association Saint-Camille-de-Lellis est une ONG dédiée à la prise en charge des patients atteints de troubles psychiques en Afrique de l’Ouest. L’association Saint-Camille est connue internationalement et bénéficie du soutien de nombreuses associations étrangères. Fonctionnant uniquement grâce aux dons, elle a ouvert plusieurs centres d’accueil, de consultations et de réinsertion en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Burkina Faso et au Togo. Grégoire Ahongbonon, pour son dévouement extraordinaire, a reçu de nombreuses récompenses dont le premier prix de l’OMS pour la lutte contre l’exclusion sociale.


Les structures de soins de l’ASC au Togo :

Centres d’accueil (hospitalisation)  : Zooti, Sokodé-Amaoudè, Kpalimé
Centres de réinsertion : Tokpli et Zooti
Centres relais : 12 dispensaires et hôpitaux de campagne offrant des consultations psychiatriques ambulatoires

Ces structures permettent une accessibilité financière : une consultation avec un mois de traitement coûte seulement 2000 Fcfa (3 euros), et une hospitalisation 5000 Fcfa (7,6 euros), soit 10 à 20 fois moins cher qu’un hôpital classique.

Les objectifs de la mission SMAO :

La mission de la SMAO repose sur la formation des soignants locaux à travers :
Des cours théoriques et études de cas cliniques
Des co-consultations et reprises de cas
Via l’utilisation de la fiche d’observation "Saint-Camille", créée par la SMAO, qui permet une prise en charge efficace de 90 à 95 % des patients.


Formation


Les missions des volontaires :

S’adapter au terrain et au modèle de soins existant
Transmettre des compétences en santé mentale aux soignants locaux
Accepter les réalités locales et adapter les pratiques de formation
Assurer la pérennité des connaissances pour un impact durable

Une réalité complexe et bouleversante

Les croyances spirituelles (sorcellerie, envoûtement…) autour des troubles psychiques, la stigmatisation des personnes concernées — considérées comme possédées ou ensorcelées, abandonnées, marginalisées, souvent maltraitées et enchaînées — ainsi qu’un accès aux soins psychiatriques limité et cher, entraînent un retard aux soins et aux médicaments très important…

A cela s’ajoute les traumatismes liés aux séjours dans des centres de prières où les usagers sont souvent maltraités, privés de nourriture, enchaînés aux arbres, frappés, laissés sous la pluie et le soleil, forcés à boire des mélanges d’herbes… Afin de libérer l’esprit malveillant qui les possède.

Déroulement des journées de consultations :

Les consultations, pouvant atteindre jusqu’à plus de 150 patients par jour, se déroulent souvent en extérieur, à l’ombre d’un arbre, sans confidentialité. La durée des consultations est brève, environ 10 minutes par patient.


Consultations


La symptomatologie est différente : par exemple, pour la dépression, beaucoup de sensations corporelles "tête qui chauffe", "maux de tête"... Très peu d’accès aux émotions comme la tristesse...

La quasi-absence de prise en charge psychologique est frappante. Probablement que la "psychologie" ne peut naître que dans des sociétés où l’aisance matérielle et le niveau de connaissance moyen est plus important. La question du « Je » reste encore très floue et parcellaire en Afrique subsaharienne où le « Nous » (famille, communauté, village…) est encore au premier plan.


Chaque journée de consultation débute avec le discours de sensibilisation, visant à sensibiliser et déstigmatiser les troubles psychiques :

« - On peut continuer à vivre avec le trouble psychique.

  • Importance de prendre ses médicaments chaque jour et de ne pas les arrêter seul.
  • L’épilepsie n’est pas contagieuse, on peut toucher la personne pendant la crise pour la protéger du feu, et on peut manger de tout.
  • Les troubles psychiques sont partout dans le monde, la cause des troubles psychiques est biologique »

Les traducteurs·trices traduisent le français en la ou les langues parlées de la région.


Discours de sensibilisation


Chaque jour, de nombreuses questions concernant l’alimentation… Beaucoup de croyances lient l’alimentation à l’épilepsie ou aux troubles psychiques, entraînant de nombreuses restrictions alimentaires dans une population ayant déjà du mal à subvenir à ses besoins primaires. Les épileptiques sont extrêmement stigmatisés et les enfants souvent refusés des écoles par peur de la contamination par le toucher ou la salive…


Témoignages de patients et familles de patients lors d’une journée de consultation :

"Elle rend grâce à Dieu. Depuis qu’elle a commencé, elle a pris son enfant et elle a circulé partout, elle n’a pas eu de solution. Quand elle est arrivée ici, vraiment, elle a eu soulagement."

"Elle dit qu’elle rend grâce à Dieu. Que c’est son enfant, son fils, son petit-fils. Que vraiment elle a tout fait. Elle a circulé chez les guérisseurs, elle n’a pas eu de solution. Mais quand ils sont arrivés ici, franchement, tout marche bien."

"De vous dire merci, et de ne pas les abandonner, de continuer par les soutenir."

"Elle est une patronne coiffeuse. Quand elle était dans le trouble psychique, elle a cessé de travailler… Depuis qu’elle a commencé par prendre le produit, maintenant elle arrive à travailler, elle peut même vous tresser tout à l’heure !"

Le fonctionnement du Centre d’Accueil de Zooti :

Centre d’accueil de Zooti

Centre d’accueil de Zooti


La paillotte

Espace cuisine des familles


L’ASC est très centrée sur la réhabilitation psychosociale. Sa démarche est de confier un maximum de responsabilité à des patients stabilisés, tant dans le domaine des soins que dans le domaine de la gestion administrative et du quotidien.

Ainsi, plusieurs infirmier·e·s des centres, une grande partie des aides-soignants et du personnel de vie (cuisinier·e·s, gestionnaires …) ont bénéficié des soins de l’ONG avant de faire partie du personnel de celle-ci. Tous vivent dans le centre d’accueil 7j/7, dans des bâtiments réservés au personnel et des chambres individuelles. Ils ne sont pas décideurs du centre d’accueil dans lequel ils seront affectés. Le port de blouse blanche n’existe pas. Il n’y a pas de médecin psychiatre exerçant au sein de la Saint-Camille au Togo. Cela n’est pas étonnant quand on sait qu’il n’y a actuellement que cinq psychiatres exerçant au Togo.

Le centre d’accueil de Zooti accueille environ 250 patient·e·s avec une équipe réduite de 11 soignants :
2 infirmier·e·s, 1 étudiant·e infirmier·e, 1 psychologue, 4 aides-soignant·e·s, 1 prêtre : à temps plein
2 chirurgien·ne·s : à temps partiel

Une partie du personnel soignant et non soignant

Les journées sont rythmées par la messe matinale, suivie de séances de psychoéducation animées par le psychologue, de la prise de médicaments, et d’activités variées : musicothérapie, ergothérapie, psychomotricité, groupe parole addiction…

Chaque mercredi, un staff clinique permet de discuter de la prise en charge des patient·e·s et de leur éventuel retour au domicile.

Les paroles du père David pendant la messe sont poignantes et donnent une nouvelle place aux usagers : "Chaque personne est importante et a sa place. Les plus fragiles sont les plus importants. Nous avons à protéger et à soigner les membres les plus fragiles de la communauté. La parole de Dieu est à l’œuvre chaque jour. Il continue de nous soigner et de nous donner son amour."


La structure du Centre d’Accueil comprend :

  • La chapelle, où a lieu la messe chaque matin
  • La paillotte au centre de l’hôpital, où ont lieu la plupart des activités (psychoéducation, distribution des médicaments, travaux manuels, musique, chants et danses...).
  • Les cuisines (une pour les patients et une pour le personnel)
  • Le terrain de jeu où est pratiqué le baskin chaque vendredi
  • Le quartier des hommes (16 chambres par quartier)
  • Le quartier des femmes (16 chambres par quartier)
  • Les deux bâtiments pour le personnel du centre avec la cuisine, la salle à manger et les chambres individuelles.
  • La boutique du centre servant aux patients et aux familles
  • Espace cuisine pour les familles des usagers séjournant au centre. Il est habituel qu’au moins un membre de la famille reste avec le proche hospitalisé. Ainsi, les familles partagent-elles leurs difficultés et se soutiennent-elles ? Quelle est la santé mentale des aidants dans une culture où la communauté est au premier plan ?
  • Le bâtiment des consultations et des soins, avec plusieurs bureaux de consultations, la pharmacie, la salle de soins, la salle d’attente des consultations venant de l’intérieur, l’entrée et la salle d’attente des consultations venant de l’extérieur.

Quartier des hommes

Psychoéducation


Les conditions de vie et de soins, sommaires et les mêmes pour tous :

Hébergement en dortoirs collectifs sur nattes ou lits de camp
Le centre est fermé sur l’extérieur
Repas simples et répétitifs (bouillie, pâte, riz)
Peu d’accès aux soins somatiques (absence d’ECG, bilan sanguin…)
Pas de contention ni d’isolement, cadre ouvert pour tous les patients
Pas d’encadrement par la loi des soins sous contraintes. C’est la communauté qui fait force ; la contrainte vient de la famille
Un ou plusieurs membres de la famille restent avec leur proche , au moins au début de l’hospitalisation
Il n’y a pas vraiment de permission (domicile loin, coût du trajet)
Les patients hospitalisés sont peu vus par les infirmiers qui sont très occupés aux consultations.
Les personnes concernées sont encouragés à participer à la vie commune. Ils peuvent, par exemple, spontanément aller aider en cuisine. Une personne qui aide de manière régulière sera récompensée financièrement d’un petit montant à la fin du mois pour l’encourager.

Le centre de réinsertion de Zooti : un tremplin vers l’autonomie.

Le centre de réinsertion accueille 17 patients qui y vivent et y travaille. Le centre propose des formations dans divers métiers :
• Couture
• Coiffure
• Vente
• Boulangerie
• Jardinage
• Porcherie
• Fabrications de bijoux
• Réparation de voiture

Les villages alentour bénéficient des services et des produits vendus par ces patients en réinsertion, favorisant leur réintégration dans la société.


Centre de réinsertion de Zooti

La boulangerie

La boutique

Le salon de coiffure

Le potager


Un voyage humain :

Outre l’aspect médical, la mission offre une expérience humaine et culturelle intense. La messe du dimanche à Zooti est un moment de joie et de communion, où patients, familles et soignants se retrouvent sans distinction.

Le Père David rappelle avec force :

"Chaque personne est importante et a sa place. Les plus fragiles sont les plus essentiels. Nous avons le devoir de les protéger et de les soigner."


Un impact et engagement durable

Ces voyages humanitaires sont l’occasion de transmettre un savoir, d’apporter un soutien concret aux soignants et aux patient·e·s, et de sensibiliser à la réalité des soins psychiatriques dans des conditions extrêmement précaires.
Grâce à des actions de formation, d’adaptation et de pérennisation, l’association SMAO continue d’apporter sa pierre à l’édifice d’une psychiatrie plus inclusive en Afrique de l’Ouest.


Quand la foi brise les chaînes…

Grégoire Ahongbonon, le fondateur de l’ASC

Solène Cormier