Transformation de l’offre de soins de psychiatrie à Tahiti : déploiement de la réhabilitation psychosociale
(Les formateurs et les professionnels ayant participé à la formation à la réhabilitation psychosociale qui s’est déroulée au CHPF du 24 au 27 février 2025)
Le Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) a accueilli du 24 au 28 février 2025 une équipe du Pôle Centre rive gauche du Vinatier - Psychiatrie Universitaire Lyon Métropole, composée du Pr Nicolas Franck, de Marie Verquin (infirmière) et de Lotfi Bechellaoui (pair-aidant).
Un semaine riche d’échanges, qui a commencé par une formation de 4 jours destinée aux professionnels, suivie d’un colloque ouvert à un large public.
Le CHPF travaille depuis plusieurs années à la transformation de l’offre de soins de psychiatrie : passage d’un modèle totalement hospitalocentré à un modèle plus communautaire avec des dispositifs variés.
Présentation du Département de psychiatrie du Centre hospitalier de la Polynésie française
Trois services : pédopsychiatrie (purement ambulatoire), UCSA (soins en milieu carcéral sur les deux prisons de Tahiti) et psychiatrie de l’adulte (unités d’hospitalisation et d’urgence avec 66 lits au total, 3 équipes mobiles – dont l’une facilite la sortie d’hospitalisation, la deuxième propose des soins de réhabilitation psychosociale et la troisième est destinée aux jeunes psychotiques - et des dispositifs transversaux dont un centre de consultation, ainsi qu’un plateau d’ergothérapie et d’activités thérapeutiques).
Ouverture d’un pôle de santé mentale prévue en 2025, venant compléter l’offre de soins du département de psychiatrie (addictologie, CUMP, psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent), dont un bâtiment qui accueillera un espace pour les familles et un autre pour les permanences associatives. Ce sera un lieu servant de lien entre l’hôpital et la ville.
Les conséquences de la pandémie de Covid-19 sont encore notables en Polynésie française. La reprise économique s’est faite au prix d’une aggravation des inégalités. L’accès aux soins est hétérogène. Les risques naturels et géopolitiques sont marqués. On observe un nette augmentation de la consommation de toxiques, dont une omniprésence du paka (cannabis) et une flambée de l’ice et du blue ice (métamphétamine). Les violences intrafamiliales et sexuelles ont une prévalence d’un tiers supérieure à celle qui est observée en métropole. Les indicateurs de santé globale sont défavorables avec une aggravation de l’obésité et des pathologies cardiovasculaires. On note une réticence par rapport à la santé mentale qui est encore stigmatisée, avec une culture du silence aggravée par la déscolarisation et le fait qu’¼ de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il faut prendre en compte la barrière de la langue, la structure des phrases tahitiennes étant différente de celle du français, et le fait que l’évolution en micro-communauté est favorable à l’évitement du conflit.
Le sentiment de honte est très présent et alimenté par un cloisonnement à l’intérieur des familles, le mot tabou venant du polynésien. Il se répercute sur l’ensemble de la société. Enfin il faut tenir compte du poids de la religion – syncrétisme entre les traditions polynésiennes et le christianisme, qui contribue à la cohésion sociale, et d’une perception de la temporalité différente. Ces écueils sont contrebalancés par une forte solidarité, des valeurs humaines très positives et une grande ouverture à la nouveauté et à l’innovation. L’épistémologie culturelle polynésienne est par nature très adaptable, peu contraignante et favorable à la transformation.
Jusqu’en 2018, les soins étaient organisés autour de la psychiatrie de crise (avec un taux d’occupation des lits ayant atteint 119 % en 2017, avant de tomber à 80 % en 2020 grâce à la restructuration). Depuis, la vision se définit par une stratégie favorisant le soin global, augmentant le niveau de compétence communautaire, favorisant l’"aller vers".
- Création d’équipes mobiles en 2018-2019.
- Création de l’unité ESPER (pour les jeunes psychotiques) et de l’équipe mobile de réhabilitation en 2020.
- Augmentation de l’activité à partir de 2020.
- Augmentation visée des compétences dans les archipels.
Il ne faut pas oublier que le tissu familial et associatif assure une importante partie de l’étayage des personnes ayant des difficultés psychiques.
Association d’aidants Taputea Ora (santé mentale Polynésie) dont le fondateur et aidant familial, très engagé est Lewis Laille.
Des tradithérapeutes ont été intégrés aux urgences en 2024. Ils proposent des massages et du magnétisme (à l’extérieur de l’hôpital ils recourent aussi à la phytothérapie). Ils traitent aussi ce que l’on appelle le moki (la possession), c’est-à-dire la rupture du lien ancestral. Le lien avec l’ancêtre offensé est réparé par le Tahu’a (guérisseur). Son action complète celle du Taote (médecin).
Pour aller plus loin il faudra agir sur deux leviers : la connaissance de la population (à travers des campagnes de communication) et homogénéiser l’approche adoptée par les équipes en se centrant sur les facteurs du rétablissement.
Deployer la pair-aidance en Polynésie est essentiel. Elle contribuera au changement des représentations et des pratiques. Les professionnels de santé mentale et les partenaires ont réservé le meilleur accueil au premier pair-aidant professionnel venu à Tahiti. Globalement les échanges très constructifs qui ont eu lieu au cours de cette semaine de formation laissent présager le meilleur, d’autant que la santé mentale fait partie des axes que le gouvernement veut prioriser en Polynésie française.
(A droite le Pr Nicolas Franck, à sa gauche Cédric Mercadal, Ministre de la santé et de la prévention et Nathalie Salmon-Hudry, Déléguée interministérielle au handicap et à l’inclusion. Tout à gauche le Dr Johan Sebti, Psychiatre et Chef de Département)
Complément : Évolution journées d’hospitalisation, taux d’occupation et nombre d’acte
À voir : Approche de la psychiatrie en Polynésie française, interview du Dr Johan Sebti, Chef de Département - Esper (Equipe d’évaluation et de suivi des psychoses émergentes) au CHPF (Centre hospitalier de la Polynésie française)