Rôle des représentations culturelles - Polynésie française

Rôle des représentations culturelles - Polynésie française

Éléments de réflexion par Lewis Laille - Aidant familial et Fondateur de l’association d’aidants Taputea Ora (santé mentale Polynésie) .

1- FAMILLES ET RETABLISSEMENT, LA PERCEPTION DES FAMILLES QUI CONTACTENT L’ASSOCIATION

  • La notion de rétablissement n’est pas connue des familles. C’est un sujet qui n’est pas abordé avec les soignants, que ce soit lors des consultations externes de suivi ou au cours des hospitalisations.
  • La maladie mentale est plus considérée comme une fatalité, on finit par s’y faire, on perd espoir que les choses vont changer. La vie à la maison devient invivable, c’est l’enfer et il y a beaucoup de souffrance.
  • Les familles qui vont bien et où les choses vont mieux, évitent ou n’aiment pas trop se retrouver avec d’autres qui vivent la même chose. Ça leur rappelle de mauvais souvenirs qu’elles n’aimeraient pas revivre. Éviter permet de repousser le sort.
  • Souvent les familles qui contactent l’association sont “à bout”, désespérées, au bord de la dépression, ne savent plus quoi faire après avoir tout essayé ou enduré. Cela dure souvent depuis longtemps.
  • L’association a accueilli des professionnels de la santé (médecins, infirmiers, psychologues, ... ayant un proche atteint de troubles mentaux ou eux-mêmes concernés). Bien qu’ils aient le savoir “scientifique ou technique”, ils ont autant de mal que nous à faire face à leurs émotions, pleurent ou sont en souffrance autant que nous.

2- IDEES RECUES DES FAMILLES ET DES AIDANTS, LE VECU DES FAMILLES

  • La maladie mentale est très souvent associée à la folie, à la violence, à l’agressivité ou à la dangerosité, à la honte, à la bizarrerie ou à ce qui n’est pas normal, au mauvais sort. On en a peur. Certains peuvent la concevoir comme une punition. “Je ne suis pas fou” est une réaction très souvent entendue dès qu’on propose d’aller consulter un psy.
  • Plusieurs familles nous disent qu’elles son restées longtemps dans leur coquille à faire face toutes seules. Elles se sentent isolées et en manque d’informations.
  • Lorsqu’on est atteint de troubles mentaux, on l’est pour la vie, c’est incurable. On a l’impression de subir les choses. Paradoxalement, la maladie mentale n’est pas associée à l’idée d’avoir une maladie chronique.
    Lorsque la maladie est installée depuis des décennies, on reste malade pour la vie, on reste fragile, il faut continuer à prendre des médicaments toute sa vie. Et pourtant, on constate souvent l’arrêt des traitements par les patients à plus ou moins long terme.
    Souvent, la solution à laquelle on pense, c’est l’hôpital et les médicaments. Plusieurs familles pensent que c’est souvent l’unique solution.
  • Plusieurs familles nous ont fait part de leurs recherches de solutions, face à la maladie. Elles ont “tout essayé” : le “tahua (guérisseur), le ra’au tahiti ou les soins traditionnels polynésiens, le pasteur ou le prêtre, le maire, les médecins, l’hôpital, les pompiers, les gendarmes, le temple chinois (pour les chinois d’un certain âge), les autres membres de la famille...
  • Les drogues (paka, ice, alcool) sont considérées comme causes possibles des maladies mentales, l’hérédité aussi, les événements graves de la vie (séparation amoureuse, perte d’un être cher, maladie ou accident grave, agression, perte de son emploi, harcèlement...).
  • Chez les personnes d’origine chinoise d’un certain âge, on cherche parmi les ancêtres ou les ascendants ou les “oncles, tantes et cousins...” qui ont eu une maladie mentale. On découvre parfois des histoires cachées dans la famille, des secrets de famille, des histoires dont on se garde bien d’en parler.
  • Avoir une maladie mentale occulte les maladies physiques. Concrètement, nos proches peuvent ne pas aller voir de médecin généraliste, certains n’ont pas de médecin traitant. La prise en charge ne tient souvent pas compte de la personne dans sa globalité. On reste concentré sur ce qui ne va pas sur le plan mental et on se préoccupe moins du reste.
  • Lorsqu’un individu est hospitalisé dans un contexte de "délire" aigu, c’est toujours un énorme choc devant le diagnostic et les événements qui l’ont précédé. Les familles nous parlent de coup de massue ou de tsunami, on sent la vie basculer, on est déstabilisé. C’est à la fois comme pour d’autres maladies graves et différent parce qu’on ne sait pas comment s’y prendre avec quelqu’un qui ignore sa propre maladie et perçoit une réalité différente. Le retour à la maison n’est pas préparé avec la famille, cela vient raviver les tensions et les rancœurs, la vie peut très rapidement devenir infernale. Nous avons eu des situations de rupture complète des relations entre le patient et sa famille, à la suite d’hospitalisation sous contrainte.

3- IMPACT DES REPRESENTATIONS OU DU VECU

  • Les représentations et le vécu ont un impact sur les réponses apportées ou recherchées par la personne en souffrance : déni, refus de soins / non recours aux soins, sentiment d’impuissance et de fatalité, de culpabilité, sentiment de “fiu” intense... Elles peuvent favoriser ou être des freins dans la prise charge.
  • Ces croyances, ces opinions, ces attitudes, les informations... vont avoir un impact sur la façon dont on ressent les choses ou on réagit. Elles peuvent parfois nous aider à donner du sens ou des fausses perceptions à ce qu’on vit au quotidien.
  • Isolement des familles, on cache son malade, on ne parle pas de la maladie mentale avec les autres membres de la famille, les autres membres de la famille s’éloignent. Nous avons rencontré des membres des familles quitter la maison familiale pour ne plus être avec la personne atteinte de troubles.
  • Les personnes qui ont plus de 50 ans, nous disent souvent : que va-t-il se passer quand je ne serai plus là ? Que va-t-on faire de notre proche, qui va s’en occuper ? Lorsque la maladie mentale s’installe et se chronicise, cela fait souvent éclater la famille, les amis se font rares, on reçoit moins de visites des autres membres de la famille. C’est souvent la maman, la femme qui est en première ligne, les hommes ne s’impliquent pas trop ou évitent de le faire, ils sont en retrait.
  • La vision de l’avenir de la personne atteinte d’une maladie mentale est très négative (il/elle arrête ses études, ne travaille plus et/ou perd son emploi (sentiment d’avoir perdu leur enfant, deuil de l’enfant idéal), personne n’en veut, absence de mobilisation pour chercher à aller mieux, incompréhension du handicap et de la maladie.
  • Importance de la stigmatisation et de l’auto-stigmatisation qui ont pour conséquences sur la prise en charge : déni, refus de soins, isolement, désœuvrement, stigmatisation ... On reste très sensible au regard des autres. Sentiment immense d’impuissance et de résignation face à une maladie qu’on ne comprend pas.
  • Difficulté à amener son proche à consulter, souvent il ne se sent pas malade. C’est nous qui sommes malades.
  • Plusieurs familles nous parlent de la prise en charge qu’elles ont vécues, en tant que familles ou à l’occasion d’une hospitalisation. Elles disent qu’elles n’ont pas bénéficié d’aide. Elles ressentent un besoin fort de soutien, elles considèrent que ce sont elles qui apportent une aide à la personne malade dans la vie de tous les jours, à la maison. Elles nous disent qu’elles ont besoin d’être accompagnées, de comprendre ce qui leur arrive (besoin d’écoute, de formation, d’information sur les ressources, d’avoir un lieu proposant des activités...)

4- A PROPOS DE TAPUTEA ORA – SANTE MENTALE POLYNESIE

Environ 300 adhérents cotisants de 2019 à 2024. Le nombre de personnes touchées est supérieur, plusieurs activités ne nécessitant pas de devenir membre adhérent de l’association.

Caractéristiques et besoins des usagers

L’association est sollicitée :

  • Soit par des familles et des personnes concernées suivies par le département de psychiatrie,
  • Soit qui sont suivies par les psychiatres et psychologues du secteur libéral,
  • Soit par les personnes qui ont des proches qui n’ont pas encore consulté un professionnel ou qui ne sont pas suivis, qui refusent tout soin ou qui ne veulent plus poser les pieds à l’hôpital psychiatrique.

• Trois catégories de population qui contactent l’association nous inquiètent particulièrement :

  • D’abord les personnes ayant plus de 50 ans (proches et entourage de personnes concernées) qui nous disent souvent : que va-t-il se passer quand nous ne serons plus là ? Que va-t-on faire de notre proche, qui va s’en occuper ? Lorsque la maladie psychiatrique s’installe et se chronicise, cela fait souvent éclater la famille, les amis se font rares, et c’est souvent la maman ou la femme de la maison qui se retrouve en première ligne. Les hommes sont nettement moins nombreux et en retrait.
  • Ensuite les très jeunes qui découvrent le monde de la psychiatrie. Que pouvons-nous faire pour éviter que la maladie s’installe et se chronicise ? Les parents sont là mais sont souvent désemparés. La maladie impacte toute la famille. Les frères et sœurs ont aussi besoin d’accompagnement pour comprendre ce qui se passe et pour les aider à faire face. Une prise en charge précoce des troubles avec un accès aux soins de réhabilitation et dans une perspective de rétablissement pourrait limiter les conséquences délétères des troubles sur la vie quotidienne des personnes. Les troubles psychiques se manifestent souvent à l’adolescence et chez le jeune adulte et ont des conséquences considérables pour les personnes concernées et leur entourage car c’est l’âge où le jeune construit son avenir.
  • Enfin les aidants et les familles qui sont confrontés au refus de soins, au déni de la maladie. Que faire alors que notre proche est au plus mal mais refuse tout soin et tout contact avec le corps médical ? La question des troubles psychiques est encore trop souvent ramenée à l’unique question du soin. Il nous faut penser, en complément du soin, des accompagnements complets qui permettent de mettre en place un suivi global de la personne concernée pour une meilleure inclusion dans la cité. Difficulté à amener l’individu à consulter puisqu’il ne s’estime pas malade.

Présentation de l’association Taputea Ora

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