Marianne Reynaud est éducatrice spécialisée au sein du centre référent de réhabilitation psychosociale de Lyon depuis 5 ans. Elle accompagne individuellement et collectivement des personnes avec des troubles psychiques dans la construction de leur projet social : loisir, bénévolat et logement. Avec une forte appétence pour la culture, elle impulse différents projets axés sur cette thématique.
Photo : Collectif les flous furieux
Le travail d’éducatrice spécialisée
L’éducateur accompagne des personnes qui ne font pas partie de la norme dictée par la société. Alors que cette dernière est très normalisée et essaye souvent de les pousser un peu sur le côté, mon objectif est que ces personnes puissent avoir une place dans la société, une place qui fait sens pour elles. On a beaucoup d’outils à notre disposition, mais aucun d’automatique. Et c’est donc un métier où l’on « bricole » beaucoup ! Quand je dis le mot « bricole », c’est très positif, plein de créativité, de possibilités, d’invention, d’ouverture et c’est à nous d’imaginer comment on peut accompagner les personnes concernées en fonction de leurs possibilités, de leurs besoins, de leurs envies. Etre bricoleur est une position qui exige de faire un pas de côté, de prendre les chemins de traverse pour rencontrer l’autre en face de soi. Ainsi, notre savoir-être et notre manière d’être teintent beaucoup notre travail d’éducateur.
En tant qu’éducatrice, j’accompagne un sujet unique et singulier que ce soit dans le handicap, la psychiatrie ou la réinsertion, j’essaye de m’adapter à chaque personne
La culture et l’ouverture sociale : mon crédo
Cela fait 6 ans que je travaille ici. Avant d’intégrer le service, j’étais dans un CHRS, qui accompagne des jeunes gens de 18 à 25 ans qui étaient dans la rue, et déjà à l’époque ce qui m’intéressait, c’est tout ce qui était autour de la culture. J’organisais des expositions de peintre, des choses en décalage avec la rue.
Bien sûr les besoins primaires c’est très important, mais je pars du principe que ce petit plus, ce petit luxe qu’est l’art ou la culture n’est pas un détail, c’est même un des éléments de l’exclusion sociale. Et ce petit plus, c’est ce qui met de la lumière dans les yeux des personnes qu’on accompagne, c’est quelque chose qui me parle beaucoup.
Dans la continuité de ce que j’avais fait en CHRS, j’ai mis en place avec ma collègue Céline Fossati, assistante sociale une permanence culture pour tous au sein du service, qui existe depuis plus d’un an. Elle permet aux personnes qu’on accompagne d‘avoir accès à des spectacles, des événements sportifs, du théâtre, etc. et d’accéder gratuitement à tout ce qui est médiation culturelle, plaisir artistique.
Accompagner des personnes dans des lieux comme la médiathèque ou la MJC, qui sont des lieux pivots du social et de la citoyenneté, cela me tient vraiment à cœur. Dans ce contexte, j’ai monté un partenariat avec la médiathèque du Bachut et les animatrices multimédia, nous avons créé et organisé des ateliers numériques. Ce qui est important, c’est que les personnes puissent mettre un pied dans la médiathèque, lieu gratuit à entrée libre, lieu par excellence, pour moi, de la citoyenneté de la personne lambda. La majorité des personnes que j’accompagne n’ont jamais mis les pieds à la médiathèque. C’est important ensuite de reprendre cela avec elles, pour voir si elles souhaitent ensuite aller à la médiathèque proche de chez elles, si elles en ont envie. Car faire quelque chose une fois dans l’absolu, c’est intéressant, mais si c’est une expérience isolée, c’est un peu dommage qu’il n’y ait pas plus de répercussion dans leur quotidien.
Ma mission est d’aider les personnes à ″s’émanciper″, à trouver du sens à leur vie malgré la maladie. Mais mon objectif final est de leur donner les moyens de s’émanciper, de s’aider eux-mêmes, d’être acteur de leurs choix. Pour cela, dans mon accompagnement, l’éthique est primordiale.
Reprendre confiance, se réassurer, afin d’envisager un projet social ou professionnel
Souvent les personnes qui arrivent dans le service ont une forte demande pour être accompagnées sur un projet professionnel. De mon côté, je n’interviens pas sur ce plan mais plutôt sur le projet social.
Les usagers sont orientés vers moi, par les médecins, les chargées d’insertion ou d’autres collègues, qui déterminent qu’avant de mettre en place un projet professionnel, il y a encore des étapes à franchir, une confiance en soi à regagner. Aider les usagers à se réassurer tranquillement, c’est vraiment quelque chose d’important pour moi, de pouvoir les valoriser car les personnes que l’on accompagne ont beaucoup de compétences. Je pense à un Monsieur qui souhaitait reprendre un travail, mais dans une phase plutôt stressée, où ce n’était pas du tout le moment, donc on a envisagé des missions de bénévolat. Et il a pu faire quelques missions qui l’ont vraiment rassuré. Il s’est senti valorisé avec une réelle utilité dans la société. Maintenant, il va à nouveau recontacter les chargées d’insertion pour remettre en place, petit à petit, un projet professionnel. Et on pense que c’est vraiment le bon moment pour lui. Tout ne peut pas se faire à n’importe quel moment.
Cette revalorisation narcissique, elle se joue aussi à travers différentes expériences. Souvent les personnes savent faire, mais ce qui manque c’est juste un petit coup de pouce pour se lancer.
Avoir un statut différent, cela les aide beaucoup à valoriser leur potentiel. Quand tu fais du bénévolat dans une association tu n’as plus le statut de malade ; Quand tu es photographe, tu n’as plus le statut de malade. Quand tu vas à la médiathèque, tu n’as plus le statut de malade. Tu es citoyen.
C’est important de soutenir ce besoin d’utilité de la personne, surtout si on lui dit que le travail ce n’est pas pour maintenant. « Bah qu’est-ce que je vais faire alors ? ». Il y a beaucoup d’autres opportunités et vraiment moyen de faire autre chose comme s’investir dans une association en tant qu’adhérent ou bénévole, adhérer à un GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle), prendre du temps pour soi, pour se soigner, pour aller bien, pour savoir ce qu’on aimerais faire, ou pour s’investir dans des projets.
Co-construire avec les personnes leurs projets lors de suivis individuels
Je rencontre des personnes en individuel. Je choisis d’être ″à côté″ des personnes, et non pas face à un symptôme. Je fais leur connaissance tranquillement, je suis à l’écoute de leurs demandes, j’essaye de créer un rapport de confiance. Je les accompagne dans la construction et la concrétisation de projets concrets, notamment autour de trois axes : les loisirs, le bénévolat et le logement (quand il n y a pas de CMP).
Je les accompagne psychiquement et aussi physiquement si besoin : lorsque ce n’est pas possible pour une personne de se rendre seule dans un GEM dans un premier temps, par exemple, ou dans une association de logement, notamment quand il y a des difficultés de transport, je fais le trajet avec elle. Cela me permet aussi de pouvoir faire le tiers entre la personne de la structure et la personne que j’accompagne, cela facilite le lien.
Pour construire un projet ensemble, on fonctionne comme un entonnoir : du général au plus précis. Dans un premier temps, pour quelqu’un qui veut faire du bénévolat, on part de ce que la personne imagine, de ce qu’elle souhaite, pour arriver à une mission concrète qui pourrait lui convenir. Quand elle ne sait pas trop, j’évoque plusieurs thématiques, je m’assure que c’est bien du côté du bénévolat qu’elle souhaite aller et que c’est un projet qui lui donne envie, puis on avance doucement pour trouver ensemble ce qui pourrait lui convenir. Assez rapidement, je lui demande de faire des recherches de son côté autour d’une thématique de son choix ou que l’on choisit ensemble et je fais des recherches de mon côté. Puis le rendez-vous suivant, on discute de ce qu’on a trouvé, et on décortique ce qui pourrait convenir ou pas. Parfois on dévie un peu, on affine et, confrontée à des recherches concrètes, la personne est parfois amenée à modifier son projet… que nous réajustons jusqu’à que cela lui convienne vraiment. L’idée est d’être souple et d’avancer au rythme de la personne.
Lorsqu’une personne fait une expérience de bénévolat, je la questionne ensuite sur l’ambiance, les horaires, les tâches qu’elle effectue, etc. Enormément de choses sont à prendre en compte. Par exemple, une personne aimait beaucoup la mission de bénévolat qu’elle faisait, mais elle se sentait isolée, toute seule dans un bureau et elle déprimait. Donc là ça ne convenait pas et on a imaginé quelque chose en équipe. Tout est à réajuster, car parfois la personne ne se connaît pas ou pas assez, et n’arrive pas à dire ce qui lui conviendrait
La difficulté c’est qu’il faut pouvoir l’accompagner à faire de nouvelles expériences tout en évaluant les risques aussi, pour pas qu’ils soient trop importants, et que ça la mette à mal. Mais il ne faut pas non plus que le risque à courir soit immédiatement perçu comme étant un risque à couvrir, sous peine de passer à côté d’expériences enrichissantes. C’est pourquoi il est important pour moi de rencontrer à plusieurs reprises les personnes avant de mettre en place quelque chose de concret : se rencontrer tranquillement, évaluer la fragilité de la personne, ce qu’elle peut faire ou pas.
Etre éducateur, c’est aider la personne concernée à réaliser quelque chose qui n’existe pas encore. Le travail spécifique de l’éducateur est d’accompagner le passage entre le dedans et le dehors, entre une quête singulière et un parcours unique, une création qui convient à la personne. C’est cette dernière qui accompli le passage. L’éducateur, lui, ne fait qu’accompagner et favoriser ce passage, cet entre-deux.
Il n y a pas que le travail dans la vie et pour certaines personnes qu’on accompagne, qui sont trop fragilisées, ce n’est pas possible pour le moment. Et il y a tellement de possibilités de s’épanouir différemment… le plus dur c’est de trouver ce qui fait sens pour chacun et c’est ce chemin-là qui est compliqué, et qu’on peut accompagner. A chaque fois, il y a plusieurs étapes, plusieurs parcours. Pour deux dames que j’ai accompagné dans des missions de bénévolat autour de la lecture et dans un GEM, elles sont aujourd’hui à une place qu’elles n’avaient même pas imaginé un an auparavant. On a tâtonné, inventé, cherché, on a essayé plusieurs associations, plusieurs types de missions bénévoles. Finalement, quand on y arrive, je suis vraiment ravie.
Co-animer des groupes et développer des projets
Le collectif des Flous Furieux : Un tremplin vers l’extérieur
Depuis 1 an et demi, avec mes collègues travailleuses sociales, on a lancé un atelier photo, qui a lieu une fois par semaine, grâce au collectif des Flous Furieux. Gregory, le photographe vient avec tout le matériel de pro : appareil photo, zooms, cartes mémoire. C‘est un groupe ouvert où les usagers viennent apprendre la technique de la photo, se former à leur rythme avec pédagogie et écoute du photographe. On est un petit peu dans la théorie et beaucoup dans la pratique.
Dans ce cadre, les usagers participent à différents projets : Ils ont proposé des photos pour un concours 100 clichés à l‘hôpital, ils ont fait les photos du nouveau livret des usagers au sein du service. Le collectif est aussi embauché par d’autres associations et entreprises pour venir faire des reportages photos sur une journée, lors de conférences et d’évènements. A ces occasions, le collectif propose aux usagers du service de venir participer, et, avec leur badge de photographe de prendre des photos et là, au niveau de leur statut, ça change tout. Dernier exemple en date, le collectif a été accrédité par le festival Jazz à Vienne pour photographier les concerts, et leurs photos ont fait la couverture du Dauphine libéré ! Il se passe quelque chose dans cet atelier que je trouve magique. On n’est pas dans le soin, on est dans autre chose. Là aussi c’est un tremplin pour ouvrir, pour aller vers l’extérieur.
C’est ça, pour moi, mon travail : pouvoir faire le tremplin entre un service de soin et l’extérieur, la citoyenneté, la ville, la vie quoi.
Aussi, avec mes collègues, nous venons de terminer un projet de fresque murale . Projet que nous avons mis en place cette année et qui a été inauguré au mois de juin. Deux graffeurs ont animé un atelier création avec les usagers intéressés pour imaginer et créer ensemble cette fresque, qu’ils ont peint juste à côté du service.
Le groupe ouverture sociale : recouvrer la notion de plaisir et le lien social
Nous avons monté le groupe ouverture sociale avec ma collègue, Dorothée Fanget. C’est un groupe qui dure trois mois, deux matinées par semaine. Avec un temps de préparation en amont, pour préparer ce processus d’ouverture social. L’idée de ce groupe c’est de pouvoir prendre du plaisir à faire des activités !
Nous accompagnons les personnes dans un processus de découverte ou redécouverte socioculturelle, via des sorties en groupe. Nous favorisons et soutenons l’ouverture à partir des demandes et envies des participants.
Le travail en réseau au cœur de la fonction d’éducateur
L’articulation des différents partenaires, par rapport à l’intégration sociale des personnes est primordiale. J’essaye de mobiliser mon réseau et partenaire en fonction des situations. Je fais aussi partie de la coordination 69, une association qui regroupe différents partenaires, établissements et associations, qui participent au rétablissement des personnes en souffrance psychique.
Travailler dans une structure de psychiatrie : être intégré dans une équipe pluridisciplinaire
La spécificité de travailler en psychiatrie, c’est que l’on travaille avec des soignants qui n’ont pas du tout la même approche, ni le même vocabulaire que des travailleurs sociaux. Je travaille beaucoup avec les psychologues cliniciennes qui m’épaulent dans mes accompagnements en individuel et au sein du groupe Ouverture Sociale. Elles m’aident à comprendre ce qui arrive aux personnes que j’accompagne, à partir de ce que je ressens dans la relation et de ce que cela me fait vivre. Cela me permet de pouvoir faire avancer la personne, de l’accompagner au mieux dans son parcours, et c’est précieux.
Ma Vision du rétablissement ?
Pouvoir continuer à avancer dans la vie, en fonction de ses projets, de ses envies tout en faisant avec la maladie, et en n’ayant pas dans la tête uniquement son statut de malade psychique. Le rétablissement est un processus qui permet à la personne de pouvoir trouver une place qui lui convienne, où elle se sent bien, surtout qui a du sens pour elle, quelque soit cette place, que ce soit le travail, ou autre chose. Bref, trouver un équilibre de vie qui soit satisfaisant.