Les bibliothèques vivantes : provoquer la rencontre pour lutter contre la stigmatisation en santé mentale

Retour d’expérience sur nos premières bibliothèques vivantes avec les participants de ZEST, Zone d’expression contre la stigmatisation

Depuis un an et demi, nous travaillons activement avec les participants de ZEST, personnes concernées, proches et professionnels de la santé mentale à la mise en place de « bibliothèques vivantes ». Il s’agit d’un dispositif qui permet la rencontre et l’échange, dans un cadre précis entre une personne vivant avec un trouble psychique ou un trouble du spectre autistique et une personne du « grand public ». Dans cet article, nous vous proposons de revenir avec nous sur ces premières bibliothèques vivantes, sur les questionnements et les retours qu’elles ont pu susciter, et sur les perspectives qu’elles ouvrent pour lutter contre la stigmatisation.

La bibliothèque vivante, un outil pour lutter contre tous les préjugés

Née dans les années 2000, les « bibliothèques vivantes » ont été proposées pour la première fois par l’ONG « Stop the violence » au Danemark pour amener à la réflexion sur les thématiques de violence et de racisme. Le dispositif qui a eu beaucoup de succès a très vite été repris dans de nombreux évènements pour sensibiliser à différents vécus (en lien avec l’homosexualité, le handicap, le parcours de migration, etc.) et lutter contre les préjugés. Un dispositif originellement conçu pour aborder donc la question des préjugés et faciliter la rencontre, mais non spécifique au champ de la santé mentale  !


La bibliothèque vivante, kezaco ?

La bibliothèque vivante est une rencontre, dans un cadre précis et structuré, entre deux personnes qui ne se seraient à priori pas forcément rencontrées dans un autre contexte. Le principe est simple : par la rencontre et l’échange d’individu à individu, permettre à une personne du grand public de découvrir l’histoire et le quotidien d’une personne appartenant à un groupe confronté à des préjugés et stéréotypes.

illustration : Sarah Jones

illustration : Sarah Jones

Afin de faciliter la rencontre, la métaphore de la bibliothèque est utilisée : les livres sont incarnés par des personnes qui racontent un chapitre de leur histoire à haute voix, lors d’un échange qui dure environ 20 minutes, avec des lecteurs. Les organisateurs de l’action (bibliothécaires) assurent accueil et encadrement.


Les bibliothèques vivantes dans le cadre de ZEST

L’organisation de bibliothèques vivante est un des axes fort de ZEST. C’est d’ailleurs autour de ce projet collectif que les premiers participants de ZEST se sont mobilisés dans le cadre de la préparation des semaines d’informations sur la santé mentale en 2020. Si celles-ci n’ont au final pas pu se tenir avec la crise sanitaire, les participants très impliqués dans le projet ont souhaité le reprendre dès que les conditions sanitaires nous ont permis de nous réunir à nouveau.


Dans quels contextes proposons-nous des BBV ?


Des bibliothèques vivantes grand public et « à visée de formation »

Les bibliothèques vivantes sont à l’origine conçues pour être proposées dans des lieux de passage et toucher des personnes « au hasard » qui passeraient par-là, et ne seraient pas forcément déjà sensibilisées à la santé mentale. Si nous avons gardé cette modalité, nous avons également choisi d’utiliser le format « bibliothèque vivante » dans une visée de formation. En effet, de nombreux participants au projet, ayant été confrontés lors de leur parcours à la stigmatisation de la part des professionnels, ont à cœur de faire également changer les représentations de la santé mentale chez les étudiants et notamment chez ceux en santé. Le format bibliothèque vivante nous a paru à tous beaucoup plus impactant qu’une intervention témoignage en classe entière !


Qui sont les livres vivants ?


Les livres vivants : personnes concernées, familles et professionnels

Au sein des bibliothèques vivantes que nous animons, toute personne ayant à cœur de partager un vécu en lien avec la santé mentale peut participer en tant que « livre vivant ». Ainsi, au côté des personnes vivant avec un trouble psychique, des familles peuvent également porter leur témoignage, ainsi que des professionnels de santé mentale. Pour tous, l’idée est la même : partager un témoignage personnel, à une fin de déstigmatisation, en s’appuyant sur son vécu. Pour les familles, il s’agit de parler de leur vécu en tant que proche, et non de parler du vécu de leur proche, et pour les professionnels également, de parler de leur vécu personnel, et non pas de témoigner sur leur métier.
Cela s’inscrit dans les principes de ZEST, qui souhaite avoir un fonctionnement le plus horizontal possible.


Comment nous préparons-nous au témoignage ?

Des ateliers de « construction » de témoignage sont organisés avec les personnes qui souhaitent participer aux bibliothèques vivantes. En effet, la bibliothèque vivante propose un cadre précis dans lequel s’inscrit le témoignage, il est donc important d’avoir les objectifs de l’évènement en tête (une action évènementielle pour lutter contre la stigmatisation), le format et les modalités que le témoignage doit respecter, etc. Lors de ces ateliers, nous discutons de l’organisation des prochaines bibliothèques vivantes, prenons un temps pour avancer sur nos témoignages respectifs et partageons un temps de lecture de témoignage pour ceux qui le souhaitent.


Retours sur les premières bibliothèques vivantes, les constats, les retours et les perspectives


Une première expérience peu organisée : des retours positifs des lecteurs mais une organisation complexe à gérer pour les livres

En 2019, bien avant la création de ZEST, nous avions proposé une première bibliothèque vivante dans le cadre des dialogues en Humanité au parc de la tête d’Or. Cette première expérience beaucoup moins cadrée a été très riche en termes d’apprentissages ! Elle nous a permis de nous rendre compte de l’importance de bien cadrer le temps de partage (20 minutes pouvant aller jusqu’à 30 maximum), d’être suffisamment de bibliothécaires pour pouvoir être présent pour les livres et les lecteurs et pour garantir un « cadre » efficace et bienveillant à la tenue des BBV.

Tout ce que vous risquez, c’est une belle rencontre !
(Témoignage d’une lectrice)

Belle initiative autour de la déstigmatisation de la santé mentale basée sur des rencontres autour du vécu et de ressentis personnels sur un thème peu populaire dans le grand public. Il s’agit d’une part d’histoires touchantes de patients et/ou professionnels pour qui un jour la vie a basculé et qui nous rappellent que personne n’est à l’abri. Mais également d’autre part, d’histoires qui appellent à la tolérance, à la compréhension, et peuvent nous renvoyer à des expériences ou des rencontres passées qui ne nous avaient pas interpellées.
(Témoignage d’une lectrice).


Des bibliothèques vivantes à visée de formation : à destination des étudiants de l’école de psychologues praticiens et des professionnels de réhabilitation psychosociale


Au mois de mars, nous avons proposé à une classe d’étudiants de l’école de psychologues praticiens de participer à une BBV. A cette occasion, huit livres vivants étaient présents pour partager leurs témoignages auprès de 24 étudiants, répartis en individuel ou groupe de 2 ou 3, qui ont eu l’occasion chacun de partager un temps avec deux livres vivants. L’expérience a été très riche tant pour les étudiants que pour les livres vivants ! Ce qui en ressort pour les deux parties, c’est la sensation d’avoir vécu un temps d’échange privilégié, où chacun a pu recevoir de l’autre.

C’était vraiment l’inconnu, la surprise, c’était me dévoiler, un peu de stress, beaucoup de concentration, et j’ai été surprise de voir des élèves émerveillés, qui me posaient de très belles questions, ils m’ont enrichi, et j’ai l’impression de leur avoir donné quelque chose, comme si je leur avais donné un cadeau.
Eva (livre vivant)

Quand on voit l’impact que ça a directement sur les personnes, on se rend compte que c’est très efficace en fait, car même si on ne parle pas de représentation, de changement de paradigme ou quoi que ce soit, c’est un échange tellement intense qu’on repart toujours avec quelque chose. Sarah (livre vivant et bibliothécaire)

Mon histoire est sombre, mais j’ai découvert à partir des étudiants que ma bibliothèque vivante s’est terminée positivement, ça a été une surprise, quelque chose a basculé grâce à la rencontre. C’est ce qui m’a manqué dans ma vie d’être en relation, parce que j’aime beaucoup les gens et là la magie a opéré je crois, il s’est passé quelque chose ce jour-là. Eva (livre vivant)


En juin, nous avons proposé une bibliothèque vivante dans l’enceinte du Centre hospitalier du Vinatier à destination des professionnels de la réhabilitation psychosociale. Celle-ci était suivie d’un atelier pratique, afin que les professionnels intéressés puissent proposer la démarche dans leurs établissements.

Ce que j’aime beaucoup dans cette expérience c’est la rencontre avec l’humanité, on est face à un fragment d’humanité, quelqu’un qui veut nous livrer quelque chose. Témoignage d’une lectrice

J’ai trouvé ça super beau que la rencontre entre deux individus, ça soit le partage de la fragilité, c’est pas ce qu’on fait dans la vie de tous les jours. Témoignage d’une lectrice.


Une bibliothèque vivante grand public sur l’esplanade de Fourvière

Reportée par deux fois pour cause de mauvais temps, nous participons à une bibliothèque vivante sur l’esplanade de Fourvière dans le cadre des guinguettes solidaires proposées par Habitat et Humanisme ! Celle-ci se déroulera le 3 août de 17h à 19h.


Et pour la suite ?

Motivés par ces premières expériences, nous souhaitons continuer à proposer des bibliothèques vivantes, dans différents lieux et contextes, universités, parcs, etc.

Je me dis que j’ai peut-être soulevé des questions, donné quelques infos, etc, enfin j’espère être un peu comme quand on fait une ouverture dans une conclusion, que ça donne envie et que les gens aient envie de se renseigner un peu plus, ou changent un peu d’avis là-dessus. C’est vrai que je ressemble pas particulièrement au cliché de base de l’autiste donc du coup je me dis ça peut dire, « ah oui en fait elle a été diagnostiquée, plusieurs fois alors qu’on dirait pas du tout, et ça c’est le truc que je trouve important dans les échanges que je fais avec les gens, c’est de me dire que même si je suis pas très fière de ce que je dis, au moins ils auront une représentation différentes de d’habitude sur l’autisme. Florence (livre vivant)


Plus d’infos

Vous voulez en savoir plus sur l’organisation de bibliothèques vivantes ? Nous vous invitons à consulter ces deux guides pratiques très complets :