[Focus sur] L’art-thérapie à Madagascar

Aujourd’hui, le Dr Ando Christian Ramparany (médecin directeur du CHP Saint Benoit Menni Imerintsiatosika) et son équipe n’imaginent pas la psychiatrie sans l’art thérapie.



Vue d’ensemble

Dès juillet 2017, le centre Hospitalier Saint Benoit Menni, situé à 25 km au nord ouest de la capitale Antananarivo (Tananarive) a mis en place des activité d’art-thérapie afin de compléter son offre de soins.

Cet établissement a été inspiré par l’expérience du Bénin. L’art thérapie y était alors dejà proposée depuis 2 ans par le centre psychiatrique de Calavi de l’ONG Sainte-Camille de Lellis, Oasis d’amour » et en 2015, Louis Oke-Agbo y avait aussi créé l’ONG Vie et solidarité à Porto-Novo dans le même but.

Le projet de rétablissement de thérapie par les arts "Lesartspourgrandir" du du CHP Saint Benoit Menni a vu le jour grâce à Sylvain Bridet-Lamoureux, art thérapeute alors en VSI (Volontariat de Solidarité Internationale) à Madagascar, avec le Frère Paul-Marie Taufana, actuel supérieur Provincial de la province de France de l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu, qui ont développé ensemble ce projet de thérapie douce, d’accompagnement de développement personnel grâce à la formation de plusieurs collaborateurs susceptibles de prendre le relais.

Le but est d’améliorer la prise en charge des personnes ayant des troubles psychiques à travers une prise en charge holistique et de limiter la contention et l’isolement. Cela a permis une réduction de la durée moyenne de séjour de 19 à 11 jours en moyenne en l’espace de quelques années (graphique ci-dessous), depuis la mise en place des ateliers à Saint Benoit Menni.



Le projet d’art-thérapie est porté par toute l’équipe médicale. Des partenariats ont été mis en place, notamment avec des hôpitaux publics œuvrant dans la santé mentale. Ils partent du projet du demandeur et l’adapte en fonction de la population cible.

Public cible :

  • Adultes de 18 à 80 ans ;
  • 35 à 40 % d’hommes de moins de 40 ans.

Le centre Hospitalier Saint Benoit Menni reçoit aussi des demandes de parents d’adolescents et sont dans l’obligation de les accueillir, faute de service de pédopsychiatrie.
Certains ont moins de 13 ans, avec un diagnostic de handicap psychique ou mental, de troubles envahissants du développement ou encore de difficultés scolaires. Nombre de ces adolescents souffre d’épilepsie associée à une déficience intellectuelle.

L’établissement dispose depuis février 2018 d’une annexe faisant office de centre médico-psychologique et d’accueil de jour à la capitale. Des activités d’art-thérapie y sont proposées 3 jours par semaine.

L’établissement accueille des personnes d’autres nationalités, dont des Français. De jeunes Français durant des « séjours de rupture » ordonnés par le juge des enfants et sous tutelle de l’ASE (droit commun) y bénéficient d’un suivi médico-psychologique. Ces jeunes sont habituellement intégrés dans des programmes socio-éducatifs de l’association. Beaucoup ont déjà été suivis en pédopsychiatrie.

Partenariats :

Le Centre Hospitalier Saint Benoit Menni s’est engagé dans plusieurs partenariats dont :

  • Le service de pédopsychiatrie de hôpital public CHU PZaGa (Madagascar) situé sur la côte ouest, à 600 km de la capitale en 2021, pour la mise en place d’une unité d’art thérapie.
  • Le Centre Frère René Guillemin – Centre d’Accueil de Terre Rouge de l’ile Maurice : ateliers d’art-thérapie en ligne durant la pandémie de Covid – 2021 pour des usagers de substances psychoactives (Atelier Wi A lavi online) ;
  • Stages d’accompagnement des professionnels et animateurs œuvrant dans le domaine de la santé mentale et des associations prenant en charge des usagers de substances psychoactives.
  • Projet d’accompagnement des professionnels en art-thérapie du premier hôpital de santé mentale de Madagascar pour 2024.



Organisation :

Planning à la semaine, les ateliers se font sur prescription médicale (généraliste ou psychiatre ou psychologue)

Si les bénéficiaires acceptent de participer avec une résistance au début, ils viennent d’eux-mêmes après quelques temps d’adaptation. Des fiches de suivi et d’évaluation journalières sont mises en place à destination des médecins et psychologues. Certains ateliers se font avec les familles.
Actuellement, l’établissement a une capacité d’accueil de 29 personnes en hospitalisation complète et 10 personnes pour l’hôpital de jour. L’annexe peut accueillir jusqu’à une douzaine de personnes pendant chaque atelier.



[Interview]

du Dr Ando Christian Ramparany et de Sylvain Bridet-Lamoureux, art thérapeute.

Comment s’est créé le projet initialement ? Et pourquoi ?

"Le projet Art-Thérapie « Lesartspourgrandir », l’Art au Service de la santé, est né après une première rencontre entre frère Paul-Marie et Sylvain à Paris à près de 10 000 km de Madagascar.
La mise en place effective du projet s’est faite 10 mois plus tard. "
Sylvain Bridet-Lamoureux

Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

"De mon côté, la peur de ne pas convaincre par les bienfaits de l’Art-Thérapie, dans le cadre de la santé mentale et la peur d’être pris pour un clown au sens négatif du terme (j’aime les clowns), j’aime à dire que l’art-thérapie semble avoir au premier regard un effet de “beaucoup de bruit pour rien” ". Sylvain Bridet-Lamoureux

"La réaction immédiate des bénéficiaires au début ainsi que les familles était : « En quoi faire de la peinture ou crier ou même danser pourra m’aider ou aider la personne en détresse ? Que va apporter tout cela au quotidien ? »
Les explications semblaient inaccessibles au plus grand nombre. Comme les actions sont plus parlantes que les mots, c’est à travers les progressions observées de façon quotidienne des bénéficiaires que les bienfaits de l’art-thérapie ont pu convaincre le public accueilli."
Dr Ando Christian Ramparany




L’art-thérapie est-elle adaptée au traitement des crises psychiatriques ?

"L’art-thérapie est un outil complémentaire dans la prise en charge des troubles psychiques et psychiatriques. Pour les crises aigues psychiatriques, notamment les crises d’angoisse, les attaques de panique, certaines agressivités ou colères, l’art-thérapie permet grâce à l’apport de différentes médiations de ne pas faire appel systématiquement à des médicaments. Dans une certaine mesure, cela permet à la personne de se reconnecter avec ses ressources propres et de se prendre en charge elle-même.
L’art-thérapie permet une approche moins intrusive, plus facilement acceptable avec la possibilité d’intégrer les membres de la famille, ce qui apporte un bénéfice non négligeable."
Dr Ando Christian Ramparany

Le cas échéant, comment faites-vous pour utiliser l’art-thérapie pendant « la crise » ? Jusqu’où allez-vous ?

"L’appréciation de l’ampleur de la crise est évaluée par un médecin qui décide de la méthode de prise en charge la plus adaptée. Habituellement, l’équipe de l’art-thérapie propose une intervention selon le cas ou après recommandation médicale. Les crises d’angoisse ou attaques de panique peuvent être gérées avec des séances de musicothérapie par exemple, des séances de modelage à l’argile ou encore des techniques de relaxation ou autres activités utilisant le corps. Pour des crises d’agressivité ou de colère, les ateliers bruits et boxe sont très utiles en complément des techniques de relaxation (yoga).

Planning des activités d’art thérapie



Nous proposons des outils stimulant le corps physique : « sport, danse, yoga, cirque, etc. », le corps psychique : « création, écriture, lecture, verbalisation, écoute, etc. », et le corps social : « travailler, créer, être, ensemble, etc. ». Sylvain Bridet-Lamoureux



"Par ailleurs, l’art-thérapie peut apporter des éléments utiles au diagnostic et au pronostic à moyen et à long terme. Des éléments parfois difficilement accessibles en clinique peuvent être appréciés durant les séances (cas des troubles de la personnalité par exemple, de la schizophrénie)." Dr Ando Christian Ramparany



Quels principaux bénéfices avez-vous obtenus ?

"Une meilleure gestion des crises, une meilleure adhésion du bénéficiaire à la prise en charge, absence de nécessité de recourir nécessairement à des médicaments à la demande dans certains cas, ce qui a un impact psychologique positif aussi bien pour le bénéficiaire, pour sa famille. Cela permet également aux soignants d’être plus proches des bénéficiaires tout en gardant un cadre de bienveillance. Concrètement :

  • moins d’utilisation de la salle d’isolement (3 à 4 fois dans l’année max),
  • diminution des posologies des neuroleptiques globalement,
  • une meilleure adhésion aux soins (bénéficiaire et famille),
  • une diminution de la durée moyenne de séjour en hospitalisation complète."
    Dr Ando Christian Ramparany



    Comment articuler l’art-thérapie avec la psychoéducation ?

"En utilisant et en développant les ressources propres de la personne, l’art-thérapie permet de prendre soin et de prévenir la survenue des rechutes ou des troubles en eux-mêmes.
Un des avantages de l’art-thérapie est qu’elle ne considère pas la pathologie en soi mais les besoins identifiés (reconnexion à soi, aux autres, re-sociabilisation, confiance en soi, etc.) ou inhérents à la souffrance. En ce sens, elle peut être un outil non négligeable dans le processus d’accompagnement à terme de personnes ayant des troubles psychiques.
" Dr Ando Christian Ramparany



Comment amener cette thématique dans l’enseignement de la psychiatrie ?

"Dans le monde de la psychiatrie actuelle, il existe encore beaucoup de scepticisme concernant l’art-thérapie. Nous avons la chance au sein de l’établissement que quasi tous les professionnels de santé adhèrent aux bienfaits de l’art-thérapie. Ce n’est pas toujours le cas dans les autres établissements ou même avec d’autres professionnels œuvrant dans le domaine de la santé mentale.

Il faudrait revenir aux sources : considérer les troubles psychiatriques au-delà de la simple composante biologique. Il ne faut pas oublier que la survenue et/ou l’entretien des troubles sont multifactoriels, que l’être humain est physique, psychique, social et spirituel. L’art-thérapie permet d’accéder à ces dimensions humaines, même lorsque l’usage de la parole est difficile, voire impossible, comme il est souvent le cas dans les souffrances psychiques et psychologiques.
La considération d’un modèle de soins plus inclusif et social est essentielle, avec prise en compte des multiples facteurs ayant un impact plus ou moins direct sur la santé (déterminants sociaux de la santé). Ce concept est déjà très développé dans les pays anglophones."
Dr Ando Christian Ramparany

Comment les partenariats s’effectuent ? formation ? recrutement ? transfert de compétence ?

"Les partenariats s’effectuent habituellement à la suite de rencontres avec d’autres professionnels ou des intervenants en santé mentale ou encore après les évènements que nous organisons ou interventions à destination du public (expositions, journée mondiale de la santé mentale, émissions radio, etc.) en cours d’année.
Suivant l’objectif et le public cible du demandeur et également les retombées que cela peut avoir pour nos bénéficiaires, nous donnons un avis favorable ou pas aux demandes de partenariats.

Pour le recrutement des équipes, habituellement ce sont des personnes venues en stage dans le cadre d’un parcours académique ou à titre personnel qui manifestent ensuite leur intérêt à poursuivre. Sinon, c’est à travers la page Facebook de "lesartspourgrandir" Madagascar que les demandes arrivent la première fois. Les personnes sont ensuite invitées à effectuer des démarches plus appropriées.



Concernant plus particulièrement l’art-thérapie, une maitrise ou une sensibilité pour au moins une médiation artistique est exigée. Pas besoin de longues procédures RH comme il est d’usage mais la personne est accueillie en stage d’observation pour une durée de 15 jours au moins après accord et un bilan est effectué par Sylvain, le médecin coordonnateur et la direction médicale. Evoluer dans le domaine de la santé mentale n’est pas fait pour tout le monde. Outre les compétences « techniques » proprement dites, les capacités de gestion de conflit, d’adaptation au changement et surtout la qualité du contact avec les bénéficiaires est essentielle. A titre d’exemple, une personne avec un meilleur contact humain et à l’écoute aura l’avantage sur une personne techniquement compétente.



Le transfert de compétences s’effectue sur le tas et à travers des formations professionnalisantes, notamment pour le développement des compétences artistiques (musique, danse, etc.). Les plus expérimentés guident et encadrent les nouveaux à travers des responsabilisations progressives des tâches." Dr Ando Christian Ramparany


L’hôpital accueil en son sein un studio (d’appoint) qui est une chambre d’isolement transformée une à deux fois par semaine en studio.


D’après votre expérience peut-on envisager aujourd’hui la psychiatrie sans art thérapie ? Pourquoi ?

Bien que considérée, un peu à tort, comme une intervention occupationnelle, l’art-thérapie apporte des bénéfices non négligeables. Elle a toute sa place dans la psychiatrie et dans le domaine plus global de la santé en général.
Il ne faut pas oublier que c’est une thérapeutique complémentaire, faisant partie d’un programme de soins avec d’autres types d’interventions. Elle permet une exploration entière de soi, de se redécouvrir ou d’aller davantage vers des horizons souvent inexplorés mais accessibles. Par ailleurs, la dynamique des couleurs, des sons et des mouvements, le fait d’être en groupe, de rencontrer des personnes permettent à chacun de se détacher, ne serait-ce qu’un peu, des souffrances internes. Ces constatations laissent envisager que les thérapies alternatives et complémentaires, dont l’art-thérapie, ont leur juste place dans le domaine de la santé mentale."
Dr Ando Christian Ramparany

Avez-vous un mot à ajouter sur l’art thérapie dans le contexte de la psychiatrie actuelle ? Ou encore dans un contexte de pathologies duelles ?

"De mon point de vue l’univers de la psychiatrie souffre d’une grande pauvreté (carence) de vie sensorielle, émotionnelle et intellectuelle, qui bloque les processus d’aller-mieux des bénéficiaires.
L’art-thérapie permet d’enrichir la vie sensorielle, émotionnelle, émotionnelle et comportementale "faire autrement", le travail en groupe également est une opportunité de croissance et d’apprentissage de la gestion du stress. La souffrance du mal-être, en nous coupant du monde des vivants, déforme notre rapport à la réalité. L’art-thérapie en nous resocialisant en nous, reconnectant au réel, nous intégrer au vivant."
Sylvain Bridet-Lamoureux

"La découverte des neuroleptiques surtout de nouvelles générations a apporté beaucoup d’espoir dans le domaine de la prise en charge en psychiatrie. Avec les expériences et le recul, il subsiste encore des manquements voire des échecs à moyen et à long terme avec des répercussions non-négligeables sur le plan individuel et plus largement communautaire. Aller au-delà du contexte du tout biologique est essentiel. C’est là que l’art-thérapie a sa place avec d’autres types d’interventions considérant la personne dans sa globalité."
Dr Ando Christian Ramparany

Quelles sont vos perspectives ?

"Madagascar est un pays où la moitié de la population a moins de 20 ans. Les femmes représentent 50,6% de la population totale et chaque ménage comprend en moyenne 5,2 personnes. Le domaine de la santé mentale est encore négligé, comme dans la plupart des pays en voie de développement. Aussi, il est important de sensibiliser les personnes, notamment les jeunes et les populations à risque sur l’importance de la santé mentale au quotidien. L’art-thérapie peut être un outil intéressant pour cela car il peut être proposé dans quasi tous les domaines, allant de la petite enfance aux personnes âgées, en passant par les groupes vulnérables. Les actions de prévention et de sensibilisation doivent être renforcées, impliquant les autres acteurs œuvrant dans le domaine médico-social et éducatif.

L’art-thérapie nécessite des moyens humains et financiers. Il est essentiel de professionnaliser et de motiver davantage les intervenants. A Madagascar, il n’existe encore pas de formation diplômante en art-thérapie. Cela nécessite la recherche de financement et de partenariat avec d’autres institutions avec des échanges de compétences et des partages d’expériences." Dr Ando Christian Ramparany

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