Visite d’un Centre communautaire d’Auckland, le Ohomairangi Community Office
Le voyage d’étude de notre délégation continue, après sa rencontre avec le Dr Robert Marchl, clinical head of integrated care, adult mental health services, à l’hôpital Middlemore (Nouvelle-Zélande), les représentants du CRR se sont rendus dans un Centre communautaire d’Auckland, le Ohomairangi Community Office.
Ohomairangi est un service d’intervention précoce qui a été créé en 2001 pour soutenir les populations les plus défavorisées, dans différents domaines et en particulier le soutien à l’éducation parentale.
(De gauche à droite : Patrick Le Cardinal, Baptiste Gaudelus, Lyn Doherty, Maria Mareroa, Camille Niard, Nicolas Franck)
L’équipe du centre est composée de psychologues, d’enseignants en intervention précoce, d’orthophonistes, de travailleurs sociaux, de travailleurs de soutien à l’éducation, de gardiens d’enfants et de parents pairs bénévoles.
Plus de 200 parents de la région de Tamaki Makaurau et leurs enfants participent chaque année aux programmes de soutien communautaires.
La délégation du Centre ressource a rencontré Lyn Doherty, directrice du Centre et Maria Mareroa, psychologue Maorie. Après avoir travaillé pendant 10 ans pour le ministère de l’éducation pour aider à introduire la bi-culturalité, cette dernière a choisi de travailler dans ce centre de proximité sur le développement de l’identité et des forces des parents, à partir des valeurs de base de la culture maorie.
L’équipe du Centre ressource a interrogé Charlotte Mildon, qui exerce le rôle de Tohunga-healer, c’est-à-dire de tradipraticienne Maorie, qui vit à Hawke’s Bay dans le centre de l’ile du Nord de la Nouvelle-Zélande.
(De gauche à droite, : Lyn Doherty, Maria Mareroa et une bénévole du centre)
Charlotte Mildon intervient chaque dernière semaine du mois au centre communautaire en lien avec Maria pour proposer des séances de thérapie traditionnelle individuelle ou en groupe à des familles défavorisées. Son approche, ancrée dans la culture ancestrale maorie, considère les voix ou les visions comme des perceptions spirituelles qui ont un sens particulier pour la personne qui les entend, qu’elle aide à découvrir. A partir de la compréhension de ces messages, la thérapie permet à la personne de recouvrer le contrôle de ces phénomènes. Cette approche, respectueuse des personnes accompagnées, favorise leur inclusion. Elle adopte des principes qui coïncident avec les approches orientées rétablissement en considérant au premier chef les possibilités des personnes accompagnées, plutôt que leurs limitations, qu’elle cherche à renforcer.
Après Ohomairangi, la délégation du Centre Ressource s’est rendue à Papamoa, à proximité de Tauranga sur la Bay of Plenty de l’île du Nord en Nouvelle-Zélande, pour rencontrer Ngarino Te Waati.
Ngarino Te Waati (sur le fauteuil) présente certains principes de la cosmogonie maorie et des rituels incarnant les liens avec la nature, avec l’aide de son neveu Te Harawira (en train d’écrire)
Ce dignitaire maori, chef de trois tribus, est également formateur aux pratiques traditionnelles et il s’est spécialisé dans la guérison des traumatismes liés à la colonisation. Son contact frappe d’emblée par sa densité, son humanité et son humour. Lors de cette rencontre, il était entouré par son neveu Te Harawira, qui l’assiste tout en bénéficiant de son enseignement, ainsi que par sa compagne Theresa.
Le lien avec les ancêtres et avec les éléments est au cœur de la culture maorie. Le recours aux rituels et aux concepts qui les structurent, notamment le AIO (suite de lettres recouvrant plusieurs significations essentielles), constituent un large pas de côté par rapport à l’approche cartésienne sur laquelle se fondent la pensée et la science occidentales. Les Maoris postulent qu’accéder à l’équilibre requiert un travail d’alignement entre intuition, émotions et pensée, en veillant à laisser au second plan cette dernière. Ngarino Te Waati recourt à la méditation, qu’il induit par des exercices respiratoires, des incantations et des sons musicaux.
Sa conception des troubles, quels qu’ils soient, est totalement en harmonie avec les valeurs de l’approche orientée rétablissement. Elle est particulièrement inclusive quant à toutes les particularités. Pour les Maoris, il n’est pas question de symptômes, ni de handicap. « Entendre des voix n’est pas un handicap, c’est un don », « L’autisme n’est pas un handicap, c’est un don », a-t-il déclaré. Les personnes qui possèdent ces particularités ont avant tout des capacités que n’ont pas les autres. Ce don doit être révélé par des mentors eux-mêmes concernés, qu’il désigne par le terme healers. De la même manière que les soignants maîtrisent la médecine scientifique, ceux-ci maîtrisent les thérapeutiques traditionnels, selon Ngarino. Dans cette conception, le matakité, homme/femme médecine qui « scanne » - diagnostique - l’état de la personne, fait penser au pair-aidant.
Plus largement, la question de handicap n’est pas pertinente dans cette culture. Après avoir évoqué les hallucinations et l’autisme, Ngarino cite en vrac les troubles visuels et auditifs avant d’élargir la liste aux autres spécificités quelles qu’elles soient, y compris le fait d’être albinos. Il considère que les personnes concernées par ces particularités sont avant tout douées de capacités exceptionnelles, qui doivent faire l’objet de fierté et non conduire à une marginalisation.
Leur accompagnement par la tribu permet l’accueil et la canalisation de leur don (décrite comme la communication avec les esprits pour ce qui concerne les entendeurs de voix). Il partage certaines caractéristiques avec le Dialogue avec les voix. Le processus à l’œuvre est toutefois plus puissant car il ne se focalise pas seulement sur la personne, mais aussi sur son environnement et sur le groupe auquel il appartient. Il aboutit à la prise de conscience par la communauté des responsabilités associées au don.
Ngarino explique la force dégagée par le haka et par d’autres modes d’expression spécifiques à cette culture par le fait que, chez les Maoris, apprendre à gérer son énergie est primordial. Son apprentissage prend place avant celui de l’écriture, des mathématiques et de l’histoire. Savoir respecter ses propres besoins est un autre point primordial. En être capable est la condition permettant de se mettre au service des autres avec justesse.
Ces principes sont très inspirants pour l’accompagnement des personnes qui ont des troubles psychiques et plus spécifiquement dans le cadre de ce voyage d’étude, pour le développement du dispositif Eden. Ils confortent la place à accorder à la nature, à la spiritualité, ainsi qu’aux approches méditatives et psychocorporelles, comme autant de ressources à développer pour permettre, en toute sécurité, une amélioration des liens interpersonnels, des liens avec ses propres particularités (dont le dialogue avec ses voix) et pour favoriser le rétablissement de ceux qui ont vécu des traumatismes.