[Témoignage] "Je souhaite vous prouver de par mon expérience que les troubles du comportement alimentaire peuvent avoir une fin"

Lorsqu’on souffre d’un trouble alimentaire quel qu’il soit, l’idée même de vivre sans n’est pas envisageable. Vivre sans les rituels qui l’accompagnent, sans le relatif contrôle sur l’environnement est source d’angoisse permanente… je souhaite vous prouver, de par mon expérience que les troubles du comportement alimentaire peuvent avoir une fin, que l’on peut vivre en mangeant sans culpabilité et en éprouvant du plaisir !

Les prémices de la maladie

Pour moi, tout à commencé à l’aube de mes 22 ans. Déjà bien dépressive et très angoissée depuis de longues années, j’ai basculé dans l’hyperphagie lorsque je me suis installée loin des contraintes alimentaires de mes parents, dans mon premier appartement. Ces derniers on toujours eu un contrôle sur leur alimentation et par conséquent sur mon alimentation et celle de mon frère et de ma sœur. Le culte du corps parfait, une nourriture trop équilibrée, sans excès où le plaisir était absent menaient notre vie. Les repas étaient le moment où il fallait parler des études, donner ses notes et c’était le moment des remontrances et parfois même, des humiliations ! Comment apprécier son repas, quand à chaque dîner, moi élève en relatif échec scolaire, n’aimant pas l’école, je subissais des remontrances. Très régulièrement mes larmes coulaient et le goût de la nourriture devenait âcre !

L’entrée dans un cercle vicieux

Arrivée face à mes premiers repas seule, sans m’en rendre compte, j’ai fait le contraire de tout ce que mes parents m’avaient inculqué. Fast Food à gogo, grignotages intempestifs, et c’était parti, j’étais devenue accroc à la malbouffe. Je ne m’arrêtais plus de « bouffer », chaque crise d’angoisse déclenchait des prises alimentaires, chaque moment de solitude, d’ennui m’entraînait dans la spirale vicieuse de l’excès de nourriture… sans que je me rende compte, moi grande sportive qui avait toujours eu un poids de forme, j’atteignais les 100 puis les 130 kg !

Je ne trouvais guère de solutions pour perdre les kilos en trop qui me mettaient la santé en danger, la frustration d’un régime n’étant pas envisageable. Et puis un jour, une jeune femme que j’hébergeais et qui était boulimique vomisseuse me dit : « et si toi aussi, tu te purgeais, histoire de ne plus prendre de poids, voir même d’en perdre ? ». Ni une, ni deux, j’ai passé le cap de l’appréhension et je mettais à faire, ce qu’on appelle entre nous des BV (crise de boulimie avec vomissements). Quel plaisir j’ai eu pendant toute cette période, à manger sans restriction aucune et, en me purgeant ! Les kilos s’envolaient plus vite qu’ils ne s’étaient installés ! Me voici rentrée dans un cercle vicieux, dont j’allais difficilement sortir, après des années de souffrance. Dès que je mangeais ou buvais quelque soit l’aliment avalé, l’angoisse m’envahissait, la peur de ne reprendre même que 100 grammes était devenue obsédante. Je ne sortais plus ; les repas familiaux, les fêtes de familles, les sorties avec les potes, étaient devenus une torture. Chaque fois que je savais que mon repas allait être pris loin de mon « chez-moi » et de ma salle de bain, des questions obsédantes m’envahissaient : « comment vais-je faire, que vais-je pouvoir essayer de manger sans risque de prendre du poids, comment annuler ces repas conviviaux ? » Je devais pouvoir tout contrôler, surtout mes purges. Noël, les fêtes d’anniversaire n’étaient plus des moments agréables mais étaient sources d’angoisses ingérables !

Avec tout ça, mon corps résistait. Je perdais jour après jour le poids pris et plus encore mais je ne ressentais aucune fatigue, bien au contraire, mon cerveau ayant pris le dessus, je courrais à droite et à gauche sans jamais m’arrêter. Jusqu’au jour où mon corps a dit stop et les purges n’ont plus été possibles. Je n’oublierai jamais le dernier repas ingurgité et qui est resté dans mon estomac à mon grand malheur : un énorme plat de tartiflette !

La façon la plus simple pour moi pour que cette situation ne se reproduise plus : ne plus manger. J’ai donc logiquement basculé dans une anorexie restrictive très sévère. Je ne buvais que du coca light, et m’autorisais 2 croissants par semaine uniquement ! Les kilos s’envolèrent en même temps que ma santé physique et psychique. Cette période anorexique a duré 2 ans, jusqu’à ce que mon poids atteigne 39 petits kilos. Paniquée par mon délabrement physique et par ma santé psychique, j’ai demandé à être hospitalisée à la clinique Saint Vincent De Paul, clinique spécialisée dans les troubles anorexiques et boulimiques. S’en suit une long réapprentissage de l’alimentation  : l’isolement en chambre, les repas pris en-tête à tête avec une infirmière, les quart de portions hypocaloriques étaient devenus mon quotidien… les tours de parc en marchant à vive allure me laissaient croire que j’allais éliminer les calories ingurgitées. Un diagnostic a été posé par le psychiatre de la clinique : personnalité borderline ! Ce mot barbare ne me laissait rien envisager de bon pour l’avenir…

Lâcher prise, ou le début du rétablissement

Au bout d’un petite année d’hospitalisation à temps plein, à la sortie de la clinique, les crises de boulimie et les purges sont revenues en force, jusqu’au jour où épuisée de subir mes excès alimentaires et mes vomissements, j’ai accepté de lâcher prise, autant sur l’alimentation que sur tous les mécanismes compensatoires aux calories avalées. Je parlerai à ce moment d’un déclic, un instinct de survie qui, je pense, à l’heure d’aujourd’hui m’a sauvé la vie. Mon corps ayant été privé de nourriture pendant plus de 15 ans, a stocké le moindre gramme de graisse ingurgité, la moins calorie avalée. Mon poids a donc atteint des summum mais je ne culpabilisais plus de manger. Le plaisir du repas convivial était revenu, le poids de la culpabilité disparu… mon obésité me pesait, bien évidemment, mais l’idée utopique du contrôle permanent me laissait enfin des moments de répit !

Je suis en thérapie de type analytique depuis de longues années, et suis actuellement toujours suivie en addictologie où je pratique les TCC (thérapie cognitivo-comportementale). Ces dernières m’ont permis d’accepter de ne plus être dans un contrôle permanent (même si le contrôle est une chimère). Le seul hic dans tout ça, mon obésité ! J’ai donc fait des démarches afin d’être opérée d’une sleeve gastrectomie. Ça a pris du temps, mais après quelques années de bataille et grâce à mon parcours de rétablissement, j’ai pu avoir l’accord de la commission pluridisciplinaire et être enfin opérée de l’estomac (chirurgie bariatrique). J’ai aujourd’hui quasi perdu 50 kg en 9 mois.

Enfin en état de reprendre mes études stoppées par la maladie en maîtrise de psychologie clinique et pathologique, j’ai cette dernière année, suivi la formation « personne ressource en santé mentale », formation qui m’a conforté dans l’idée que mon parcours, mon expérience, mon vécu peuvent aider mes semblables à trouver des stratégies d’adaptation aux troubles alimentaires et autres troubles psychiques. C’est donc dans la même optique que je me suis inscrite au nouveau Diplôme Universitaire de pair-aidance en santé mentale. J’espère être une paire-aidante de qualité et j’espère pouvoir aider tous les usagers que je rencontrerai, à trouver les stratégies nécessaires à leur épanouissement !

Rien n’est perdu quand on souffre d’un trouble psychique sévère, quel qu’il soit ! Je pense que garder dans un petit coin de sa tête qu’une stabilisation et un rétablissement est possible, laisse envisager une vie plus posée et moins destructrice. Je vous mentirais en vous disant que ma vie est maintenant quasi parfaite… mais en tout cas, la souffrance ne me terrasse plus, et jour après jour, j’apprends à aimer la vie !

Emmanuelle Narci-Zanni

En savoir plus : quelques références des lieux de prises en charges des troubles alimentaires, site internet, associations

Association Autrement : pour un autre regard sur son poids.
www.anorexie-et-boulimie.fr
Site internet proposant de nombreux test de diagnostics (Dépression de Beck, anxiété de Hamilton, B.I.T.E., SCOFF….), des articles, des liens sur les troubles alimentaires, un numéro de téléphone de soutien…
Site très complet

Association des parents d’Anorexique et de Boulimique (APAB)
www.apab-rhonesalpes.com

Fédération française Anorexie Boulimie AFDAS
Congrès, formation, annuaire des centres de soins TCA
www.ffab.fr

Association le corps en révolte
Association d’usagers : groupe de paroles, atelier modelage, peinture, couture etc.
Page Facebook : corps en révolte
Mail : corpsenrevolte chez yahoo.fr
1er contact par mail.

Centre référent pour l’anorexie et troubles du comportement alimentaire de lyon (CREATyon) : hôpital Pierre Wertheimer
Secrétariat : 04 27 85 80 11
Centre de diagnostic et d’orientation des personnes souffrant de troubles alimentaires. Prises en charges des moins de 18 ans, ainsi que des adultes.
Service du Pr Fourneret Pierre

Clinique Saint Vincent De Paul  : 168-174 route de Vienne 69008 Lyon
Accueil : 04 78 00 86 13
www.clinique-saintvincentdepaul.fr
Clinique spécialisée dans le traitement des TCA. Hospitalisations pour adolescentes de 16 ans et plus et femmes dans 2 services différents
Service du Dr Carrier pour les adolescentes
Service du Dr Micheland pour les femmes

Clinique Jouvence Nutrition. Établissement de soins de suite et de réadaptation spécialisée dans les TCA
Dijon

www.unicea.fr

Clinique des vallées. Hospitalisation et hôpital de jour spécialisés dans les TCA. Unité adolescent et unité adulte.
Annemasse
Accueil : 04 50 94 48 48
www.unicea.fr