Stéphane Cognon, "Je reviens d’un long voyage, candide au pays des schizophrènes"

Avec son livre « Je reviens d’un long voyage, candide au pays des schizophrènes », Stéphane Cognon, 48 ans, livre son témoignage sur son expérience de la maladie psychique, qui l’a touché à l’âge de 20 ans. Il y raconte avec recul, l’entrée dans la maladie, les hospitalisations, les éléments qui ont joué un rôle clé dans son rétablissement, sa vision du monde médical, etc. Son témoignage bref, optimiste, et avec une touche d’humour, se présente sous la forme de différents tableaux qui rythment la lecture. Nous l’avons reçu en début d’année au centre de documentation, et avons profité de cette occasion pour en savoir plus sur son parcours. Il est revenu sur ce qui l’a poussé à écrire, sur sa volonté de s’orienter vers la pair-aidance et sur comment il s’est découvert des ressources insoupçonnées en faisant face à la maladie psychique.

L’entrée dans la maladie

Pour Stéphane Cognon, la maladie se déclenche à l’âge de 20 ans, et est marquée par une hospitalisation pendant trois mois, au Kremlin-Bicêtre.

"Il faudra environ un an pour que tout redevienne dans l’ordre" m’avait dit le médecin de l’hôpital. Un an, cela paraît une éternité à 20 ans, un an à être souvent fatigué, plutôt mou, à espérer que tout redevienne comme avant. Mais tout ne redeviendra jamais comme avant, ne serait-ce qu’à cause du traumatisme de l’internement, des errances, de ces pensées et encore je n’ai rien fait de rédhibitoire.

A sa sortie, il commencera une psychothérapie. « Ma psy, je l’ai vu pendant 25 ans, là elle vient de partir à la retraite ». « Le traitement adapté a été trouvé assez vite. J’ai eu cette chance. Je me suis rétabli assez rapidement. » Cependant, à 25 ans, il connaît de nouveau une crise avec bouffées délirantes après avoir arrêté ses médicaments.

Après la rechute, car rechute il y a eut, malgré les mises en garde de l’entourage et du personnel hospitalier…lorsque l’on a 25 ans, que l’on se sent invincible, mais que l’on est fragile et influençable, ou oublie les médicaments et immanquablement on retourne sur le chemin de l’hôpital pour repartir de zéro.

« Après la rechute, je suis retourné voir ma psy qui m’a remis sous traitement et ça s’est stabilisé assez rapidement. Mais ça m’a fait peur du coup, et ça m’a fait prendre conscience que finalement j’étais fragile et qu’il faudra peut-être prendre des médicaments toute ma vie. Et j’ai repris ma vie. »

Le cabinet de la psy « c’est un lieu où l’on sort revigoré et serein »

Le suivi avec sa psychiatre a joué un rôle important dans le processus de rétablissement de Stéphane Cognon. S’il n’a pas eu besoin de faire de psychanalyse, les rdv mensuels avec sa psychiatre sont salutaires.

Je vois cette même psy depuis plus de 20 ans, autant dire qu’elle m’a vu dans divers états et m’a entendu dire des choses plus ou moins sensées. Pour moi, ce cabinet est un lieu à part où l’on sort revigoré et serein. Aujourd’hui, encore après toutes ces années, il a encore une vertu thérapeutique.

« Quand j’étais stabilisé, je ne parlais pas de la maladie. Je pouvais me permettre de ne pas en parler et les gens ne le voyaient pas. Et j’avais quand même de temps en temps des petites revendications mais que je gardais pour le cabinet de la psy. C’était un peu un défouloir. Quand je suis à l’extérieur, j’ai ma vie, mon boulot, avec les aléas du travail, mais quand je revenais pour les rdv avec ma psychiatre, je sentais que je revenais à cet endroit où quelque chose c’était passé et que c’était aussi ça ma vie.

J’ai vu la même psy pendant 30 ans et avec le recul, je me dis qu’elle était précurseur. A elle seule, elle m’a fait prendre conscience que c’était à moi de prendre en main ma pathologie, on parle aujourd’hui d’Empowerment et d’éducation thérapeutique du patient, elle a su donner des pistes à mes parents pour qu’ils puissent me soutenir et m’aiguiller, on a des programmes pour les familles, le lien que l’on a tissé elle et moi, au fur et à mesure du temps m’a rendu coopérant avec le monde médical, je connais leur code et cela m’a facilité les choses lorsque j’ai eu besoin de soins, en gardant à l’esprit que les médecins restent des humains avec leur faille. (extrait discours Rencontre Parlons Psy, Lille)

Le livre, un outil pour ouvrir le dialogue

Il y a 3-4 ans, Stéphane se retrouve dans une période intermédiaire de changement de poste au sein de son entreprise. Avec plus de temps libre et l’envie de rebondir, il se met à écrire.

"L’écriture est venue sans calcul, sans revendication. Ma psychothérapie je l’ai faite avec ma psy, je n’avais pas besoin de me servir de cette écriture pour me soigner. J’avais déjà essayé d’écrire sur la maladie, mais ça ne collait pas. Et du coup j’ai trouvé un format, un format court, avec les différents tableaux. J’ai fait lire les premiers chapitres à ma femme et elle m’a encouragé tout de suite. Je suis content de ce petit livre, car il y a de la pudeur, je pense qu’il est agréable à lire. J’ai eu aussi des retours positifs sur la qualité littéraire »

Un témoignage qu’il a pu faire car il se sentait suffisamment fort et rétabli pour pouvoir en parler : « Finalement, ce livre, je l’ai écrit longtemps après l’entrée dans la maladie, et à un moment où je pouvais me permettre de l’écrire. C’est-à-dire que je suis bien dans mon poste, je ne prenais pas trop de risque. Mais il faut être fort. Pendant un moment, quand je le cachais, je savais que je n’étais pas assez fort pour le revendiquer. Alors qu’aujourd’hui, je sais que je peux l’être ».

Son livre s’est révélé être un outil parfait pour ouvrir le dialogue avec ses collègues notamment sur la maladie psychique, et également avec sa famille.
« J’en ai parlé à mon directeur, je lui ai fait lire. Et mes collègues aussi, j’ai eu que des retours positifs. Il y a tellement de problèmes de santé mentale, de maladie psychique, on s’aperçoit que tout le monde va avoir quelque chose à dire, et connaît quelqu’un qui a une maladie psychique. On s’aperçoit que quand on ouvre le dialogue, tout le monde est concerné. Avec ma famille, on n’en parle pas. Mon père ne peut pas en parler, car pour lui c’est douloureux. Et avec ce livre, il ne m’en a pas parlé, mais m’a envoyé un petit mail. »

Faire face à la maladie psychique permet de développer des ressources

Avec du recul, Stéphane Cognon a conscience que traverser la maladie psychique lui a permis de développer des ressources et stratégies, pour faire face à différentes difficultés dans la vie « on a appris à gérer des choses que le commun des mortels ne devrait pas gérer ».

« J’ai écrit un autre livre qui va sortir prochainement. C’est encore un témoignage de patient. C’est différent, mais je parle un peu du précédent. Il y a deux ans, j’ai eu un cancer du sein. Ma femme était enceinte de notre troisième enfant. Avec cette expérience, je me suis aperçu que tout le travail que j’ai fait en psychothérapie pour gérer la schizophrénie m’a énormément aidé pour gérer ce cancer. Ça m’a aidé à traverser cette période difficile, la chimio. Je m’aperçois que le travail que j’ai fait sur le rétablissement en santé mentale, sur des années, m’a servi à passer ce cap et c’est assez incroyable.

Une expérience, qui devient une force et qu’il faudrait pouvoir valoriser. « J’ai participé à des rencontres parlons psy organisées par la Fondation De France pour faire l’introduction des tables ronde à Lille. J’ai terminé en disant :

Peut-être qu’un jour on pourra proposer comme cela a été proposé pour une maladie chronique comme le cancer, un label "Je suis rétabli d’une maladie psychique" ou "je vis avec une maladie psychique" qui prouvera à notre employeur notre capacité à être engagé pour le poste, car après ce que l’on a enduré, ou ce que l’on endure, on est plus fort désormais et on sait faire face à certaines situations. Extrait discours Rencontre Parlons Psy

"Après c’est peut-être un peu utopique, mais ça devrait être mis en avant."Alors, plutôt que cacher sa pathologie, il faudrait l’expliquer, et dire qu’on a réussi à vivre avec et du coup qu’on est plus fort »

Un cheminement vers la pair-aidance

La sortie du livre a été l’occasion de nombreuses rencontres. Et parmi-elles, une première expérience de pair-aidance. Depuis le mois de septembre, Stéphane Cognon suit une personne vivant avec une schizophrénie, une fois par semaine.

« Je suis assez content car je vois les résultats. Je fais ça de manière intuitive. On a appris à se connaître, à échanger, à voir comment on pouvait travailler ensemble ». Il utilise à cette occasion son livre comme support de discussion. La forme s’y prête parfaitement, avec des chapitres courts qui abordent différentes thématiques. « On essaye de lire un chapitre. Lui ça l’aide aussi à lire car ce n’est pas une démarche qu’il va avoir spontanément, et ensuite on parle ensemble du sujet. C’est des petits chapitres, on peut se permettre de lire deux pages, ça demande pas une trop grande concentration et cela permet d’aborder différents sujets, sur les hallucinations, l’hospitalisation, le fait d’aller chercher ses médicaments, quand on va à la pharmacie et qu’on imagine être jugé, c’est un bon outil. »

« On a réussi à créer le lien. On fait aussi de la guitare. C’est un échange. Je comprends bien les effets concrets de l’art-thérapie. Quand on joue à deux guitares, on a trouvé notre rythme. On est aussi allé voir une expo, cela a fait travailler l’autonomie dans les transports. »

Une expérience qui l’amène petit à petit à s’orienter vers la pair-aidance. Après s’être renseigné sur différents diplômes, il vient d’intégrer un DU en rétablissement à l’université Paris Descartes, et espère pouvoir travailler dans cette voie.

Un message porteur d’espoir

Stéphane Cognon termine son message avec une pointe d’optimisme face aux changements à venir « Aujourd’hui, il y a énormément de choses qui se passent au niveau de la pair-aidance, du rétablissement, ce qui est fait dans les structures de réhabilitation. Ça bouge. » et note également l’importance de témoigner pour faire bouger les lignes « Les retours que j’ai, c’est que finalement quand on peut défendre son sujet, quand on se sent capable, assez fort, avec un discours clair, on s’aperçoit qu’en face, il y a un retour, et que celui-ci est le plus souvent positif. On va dans la bonne direction. Les gens sont capables de l’entendre, finalement. »

Un autre message sur lequel il lui est important d’insister est la déculpabilisation des familles. « Avant on écartait souvent les familles du processus de rétablissement, elles n’étaient pas actrices. C’est important de les déculpabiliser et de les former pour qu’elles puissent avoir toutes les clés pour mieux vivre avec leurs proches. »

*Les passages en bleu reprennent des extraits du livre.