Thomas Musset est ergonome au sein du SAMSAH Prépsy à Paris. Il intervient à différents niveaux : évaluation des répercutions fonctionnelles des troubles psychiques dans l’activité quotidienne des usagers, conception de scénarios d’apprentissage via des mises en situations, études ergonomiques veillant à améliorer certaines situations de vie quotidienne (prendre les transports, organiser son logement, adapter un poste de travail, etc.), conception d’outils de travail efficaces pour l’équipe du SAMSAH. Il nous présente ce métier encore peu répandu dans les structures de psychiatrie, mais pourtant passionnant !
C’est suite à une sensibilisation à l’ergonomie lors de ma licence STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), option activité physique adaptée et santé, que j’ai décidé de poursuivre dans cette voie avec un master d’ergonomie à Orléans. Sensible, depuis ma licence, aux questions de vulnérabilité et de handicap, j’ai veillé à promouvoir les bienfaits de l’ergonomie dans ce domaine tout au long de mon master. C’est ainsi que je suis arrivé au SAMSAH Prépsy, en contrat d’apprentissage, pour valider ma deuxième année de master.
L’ergonomie : différents domaines d’interventions
L’ergonomie c’est très vaste, une grande partie s’intéresse aux situations de travail, c’est à dire à comment adapter la situation de travail à l’homme dans un objectif de préservation de sa santé (morale, physique, psychique, etc).
On entend beaucoup parler de l’ergonomie par rapport aux troubles musculos-squelettiques. Par exemple, sur des chaînes de production, l’ouvrier peut effectuer un geste répétitif toute la journée et cela pourra causer des troubles musculos-squelettiques, type tendinite par exemple. L’ergonome peut intervenir de manière curative ou préventive de manière à prévenir et limiter ces troubles. On opère également sur les risques psychosociaux (burn-out, épuisement professionnel, etc.).
Il existe également d’autres types d’ergonomies comme celle de conception ou encore celle d’amélioration des situations de vie quotidienne. C’est dans ce dernier objectif que se situe mon intervention au SAMSAH
Ergothérapie et Ergonomie : quelles différences ?
Les études sont différentes, concernant l’ergothérapie on y accède après le bac sur concours d’entrée, c’est 3 ans d’étude. Alors que pour l’ergonomie, on suit une licence liée aux différents pans de l’ergonomie (STAPS, psychologie, médecine, etc.) et on intègre ensuite un master d’ergonomie. Ensuite, l’ergothérapie ce sont des thérapeutes qui ont un objectif de rééducation par le biais d’ateliers pratiques. En ergonomie, on ne va pas intervenir sur la personne directement, mais principalement sur l’environnement (physique, social, culturel, familial) afin d’améliorer la situation de l’usager.
Ici encore, les méthodologies sont variées : en ergonomie, la principale méthode utilisée c’est l’analyse de l’activité. On se déplace sur le terrain et à l’aide de méthodes spécifiques, on cherche à comprendre l’activité.
Si l’on prend un exemple concret d’une situation de vie quotidienne : on arrive chez un usager et on s’aperçoit qu’il a ses rideaux et volets fermés, au sein d’un petit espace. On peut seulement lui demander « pourquoi fermes-tu les volets, il fait beau dehors ». Alors, on ouvre le volet et le problème est résolu. L’ergonome lui, il va davantage chercher à comprendre pourquoi est-ce qu’il agit de cette façon. En analysant le problème, on peut se rendre compte que l’usager a un sentiment de persécution. Dans ce cas, le volet ne suffit pas car il a la sensation d’être observé, et il a ajouté un rideau occultant devant. On va alors travailler sur ce sentiment de persécution pour pouvoir, progressivement, enlever un rideau, et à terme ouvrir les volets.
Dans des situations plus complexes, l’ergonome va passer beaucoup de temps à analyser l’activité en utilisant plusieurs méthodes d’interventions.
Des méthodologies de travail spécifiques
Première méthode : l’observation. Cela se rapporte à des techniques scientifiques écrites, avec de la prise de note, des focus d’observation. Il y a des méthodes de verbalisation par exemple (verbalisation dans l’action) : Il s’agit de demander à l’usager de décrire l’action qu’il est en train de réaliser. Cela nécessite d’adapter nos techniques car certains patients vont avoir des difficultés en double tâche : si on leur parle en même temps qu’ils réalisent l’action, ils vont s’arrêter de la faire pour répondre à nos questions.
Deuxième méthode : l’entretien. On parle notamment d’entretiens compréhensifs. La pratique d’auto-confrontation peut être également très intéressante car on confronte l’usager à son activité. On va prendre en photo ou filmer les usagers dans une activité qu’ils réalisent puis quelques jours après, on va leur montrer les images. On va les questionner alors sur ce qu’ils ont fait, pourquoi ils ont fait cela de telle ou telle façon. Cela va permettre à l’usager de prendre conscience de certaines choses et à nous de comprendre pourquoi il a agit de cette manière. Cette technique peut parfois être difficile à mettre en œuvre, car il va être difficile de filmer certains usagers qui peuvent avoir des sentiments de persécution.
Mes missions au sein du SAMSAH
Ma première mission va être de faire un état des lieux de la situation à l’entrée des usagers.
A l’entrée des usagers, il va toujours y avoir une évaluation neuro-fonctionnelle réalisé par la neuropsychologue et moi-même. Pour ma part, je vais évaluer sa manière d’occuper l’espace, comment il se sent chez lui, quelles sont ses activités, mais aussi si ses relations familiales ont un impact sur sa façon d’habiter (exemple : isolement dans la chambre en raison de difficultés familiales). Ensuite, on réalise un scénario d’évaluation dans le SAMSAH’appart (un appartement loué par le SAMSAH Prépsy qui est utilisé pour faire des évaluations et des scénarios d’apprentissage).
Il s’agit d’une mise en situation commune à tous les nouveaux entrants dans un appartement prévu à cet effet, par exemple, « tu reçois 2 amis à déjeuner ce midi » et on leur donne des contraintes de la vie de tous les jours « ranger l’appartement, préparer à manger, etc ». Cela permet à la neuropsychologue de comparer les résultats qu’elle avait obtenu sur un test davantage clinique. Par exemple, on peut avoir en bilan des capacités d’intention très bonnes sauf qu’en situation réelle, quand il y a du bruit dans la rue, une forte luminosité, ou des imprévues, c’est plus compliqué. Ça me permet aussi de comparer avec ce que j’ai pu voir ou projeter dans des situations au domicile de l’usager, cela nous permet donc de mixer nos deux évaluations.
L’évaluation neurofonctionnelle va permettre de faire des préconisations à l’équipe en fonction des résultats et ainsi préparer l’accompagnement proposé au SAMSAH
Ma seconde mission va être d’intervenir sur l’organisation du service.
Les ergonomes ont pour objectif d’améliorer les situations de travail. Au SAMSAH, mon objectif va être aussi d’améliorer les situations de travail de l’équipe. Je travaille par exemple sur comment on va pouvoir faire des synthèses plus efficaces, comment assurer une meilleure coordination de la formation, comment améliorer les transmissions, afin qu’on soit plus efficace et surtout que les collègues puissent se sentir plus à l’aise et épanouis au quotidien. C’est une mission assez rare dans des petites structures.
Une autre mission va être de réaliser des bilans ergonomiques ponctuels : on propose des bilans plus axés sur une situation globale, qui vise à améliorer les conditions de vie de l’usager au sein de son propre logement. On émet ensuite des préconisations qui peuvent être matérielles (acheter une poubelle, une lumière, etc), ou alors au niveau du cercle familial (comment améliorer la communication familiale) ; ça peut aussi être des conseils pour intensifier l’accompagnement sur certains points (intensifier l’accompagnement au ménage).
On peut aussi faire des scénarios d’apprentissage au SAMSAH’Appart, où les usagers vont reproduire des situations réelles.
Spécificités de travailler dans une structure de psychiatrie en tant qu’ergonome
Dans la méthode d’intervention, c’est à dire les entretiens ou les observations, tout doit être adapté au jour le jour. Le fait de travailler dans une structure de psychiatrie permet aussi d’exercer au sein d’une équipe pluridisciplinaire, ce qui est pour moi une grande force. La collaboration avec la neuropsychologue donne d’autant plus d’impact à nos interventions respectives.
En psychiatrie, on discute beaucoup, alors le point positif de notre manière de fonctionner dans une structure qui se centre sur l’insertion sociale et professionnelle des usagers, c’est d’avoir la possibilité de faire, d’accompagner concrètement les usagers au quotidien.
Ma vision du rétablissement ?
Tout d’abord, je ferais le distinguo entre autonomie et indépendance. On mêle souvent les deux, alors que l’autonomie c’est graduel (on est plus ou moins autonome, en fonction d’une temporalité, d‘une activité). Dans le rétablissement, je pense que c’est sur cette autonomie qu’il faut plus accentuer l’action. Pour moi l’objectif c’est principalement d’identifier les ressources, pour que l’usager puisse avancer comme il le souhaite. Pour cela, il faut d’abord passer par une stabilisation du diagnostic et des symptômes, ensuite de savoir identifier les ressources de l’usager, puis de lui donner la possibilité d’utiliser son pouvoir d’agir et à terme de l’accompagner de plus en plus vers l’indépendance. Finalement le rétablissement n’est pas forcément synonyme d’une indépendance maximum mais il conduit à une autonomie la plus importante possible.