Cécile Rochet est psychologue au centre référent de réhabilitation psychosociale de Lyon – Elle exerce à 40% au sein du service. Sa mission principale : l’accompagnement des familles ayant un proche atteint de troubles psychiques. Elle nous en dit plus sur les spécificités de sa profession au sein d’une structure de réhabilitation et sur l’importance de l’accompagnement des familles dans un parcours de soins en psychiatrie et particulièrement en réhabilitation.
Au sein du SUR-CL3R, on travaille dans le champ de la réhabilitation. On accueille une population adulte avec des troubles psychiques, et aussi depuis peu des troubles du spectre autistique – sur ce service, je m’occupe des familles et des patients (via l’animation groupal ou individuelle de suivis en affirmation de soi et habiletés sociales).
L’approche systémique au cœur de la pratique
J’ai suivi une formation de thérapeute familiale en systémie. Cette approche a la particularité de concevoir que la famille et tous les éléments qui la composent forment un système. Ces différents éléments sont tous en interaction les uns avec les autres (de différentes manières), et si il y a un dysfonctionnement, une souffrance au sein du système familial, tous les éléments de ce système vont devoir se réadapter, se réajuster, pour maintenir une forme de cohésion familiale. Ce maintien est plus ou moins couteux suivant les situations. La maladie psychique peut être un des éléments susceptible de désorganiser une cohésion familiale. Dans cette approche, on ne va pas ainsi travailler sur la personne qui est malade mais sur l’ensemble du groupe famille. C’est une approche qui est beaucoup moins stigmatisante pour la personne et c’est cela qui est particulièrement intéressant.
Je me suis également formée à la psychoéducation, notamment autour de l’accompagnement des familles, mais également pour les patients. Cela fait référence à tout module, tout outil qui peut apporter à la personne ou son entourage familial des informations et une formation sur la maladie – c’est une façon pour le patient et la famille d’accepter la maladie au quotidien. L’objectif de cette approche étant que chacun redevienne acteur dans sa vie. Le patient dans la sienne et l’entourage dans la leur. Exercice sur la différenciation, au sein de la cellule familiale, donnant la possibilité à la personne souffrant d’un trouble psychique d’apprendre à vivre avec sa maladie.
Le développement du dispositif famille au sein du service
A l’ouverture du service en 2010, le dispositif famille est parti du constat qu’en psychiatrie, les familles étaient très souvent voire systématiquement mises de côté, dans les parcours de soin. Avec le Professeur Franck, chef du service, on s’est dit que ce serait intéressant de développer un accompagnement spécifique. Dans un premier temps, nous avons proposé avec le Docteur Martin, psychiatre sur le service, un groupe multifamilial qui s’inscrivait dans une approche systémique. Celui-ci recevait les familles avec un travail sur l’autonomie des proches au sein de la sphère familiale.
Le constat régulier des soignants est que le fonctionnement familial autour de la maladie psychique est souvent organisé autour de l’hyper protection, légitimement motivé par une appréhension des rechutes et les traumatismes familiaux qui découlent des situations d’hospitalisation.
Cette hyper protection se révèle souvent comme une entrave dans le parcours de soins du proche souffrant de troubles psychiques. En effet, si on travaille sur l’autonomie du patient, au sein de notre service, on a cependant souvent constaté que faute d’alliance avec l’environnement familial tout ce que l’on mettait en place autour de l’autonomie qui est un des objectifs principal de la réhabilitation, n’était pas efficient.
Il y avait aussi une demande d’aide des parents, qui étaient en grande souffrance, et jusqu’alors souvent rejetés par le monde des soignants. On s’est mis dans une position d’accueil qui a été plutôt bien perçue par les familles. C’était assez nouveau en France avec très peu de services qui accueillaient les familles (comparé au Canada, où l’approche était développée depuis plus de 40 ans). En France, le monde de la psychiatrie avait toujours été très rejetant, avec un modèle théorique basé sur le postulat que les parents et familles étaient responsables de l’apparition de troubles psychiques. Ce n’est que très récemment que l’approche familiale en psychiatrie a évolué. Il y a encore quelques psychiatres qui continuent sur cette mouvance mais ça devient beaucoup plus rare. Côtoyant régulièrement des familles depuis plusieurs années, dans le champ de la psychiatrie, je n’ai pas constaté un profil type de familles « fabriquant des patients schizophrènes ». Ce serait bien trop pratique, on pourrait faire de la prévention !
En revanche le fait d’informer et former les familles nous permet d’effectuer des parcours de soin, plus efficients, notamment en réhabilitation. C’est pourquoi, nous avons développé dans un second temps, des thérapies familiales en individuelles (6 entretiens mensuels avec un travail sur un problème précis). Si nous constatons que la famille nécessite un suivi plus long, on les redirige vers un suivi sur l’extérieur.
Dans un troisième temps et afin de répondre aux demandes familiales, on s’est intéressé à la psychoéducation. En France, dans la continuité du programme d’approche psycho-éducative Profamille très intéressant, mais assez chronophage, et, nécessitant l’investissement de plusieurs soignants, on a opté pour le module AVEC. Ce module AVEC destiné à l’entourage des personnes atteintes de troubles psychiques, est plus court, 8 séances de deux heures hebdo (Profamille, 14 séances de 4h). Sa particularité est de partir du vécu de l’aidant naturel (la famille) au quotidien, pour comprendre le vécu de son proche.
Pour l’animation de ce module AVEC, nous avons été formé, par l’équipe Canadienne créatrice, Tania Lecomte, psychologue et Claude Leclerc, infirmier. Les deux auteurs préconisent une approche couplée avec le module destiné aux patients, afin de faciliter la généralisation au sein de l’organisation familiale.
Ainsi notre dispositif d’accompagnement des familles actuel, est décliné en trois points :
o Le groupe multifamilial
o Le module AVEC
o Les thérapies multifamiliales.
La famille joue un rôle essentiel dans le parcours de rétablissement
Dans les pays anglo-saxons, l’accompagnement des familles est une évidence, ç’est pratiqué depuis 40 ans, et c’est dans la normalité. En France, cela reste encore récent. On a longtemps pratiqué ce que j’appelle la « parentectomie », on sépare l’enfant de ses parents pour qu’il aille mieux. Aujourd’hui on reconnaît, que si tu suis la famille, que tu l’accompagnes, la forme et l’informe régulièrement, cela aura une incidence sur elle avec moins de conséquences sur sa santé physique et psychique (la notion de fardeau familial), mais également sur le parcours de soin de la personne suivie pour ses troubles psychiques.
Comme exemple que l’on retrouve souvent sur notre service, certains patients progressant régulièrement dans un parcours de rétablissement, mettaient parfois en échec leur parcours de soin. On ne comprenait pas toujours pourquoi, mais souvent revenait l’élément « Moi j’ai du mal à investir ce nouveau parcours, cette nouvelle orientation, car ma famille ne les valide pas ou ne les cautionne pas ». Prenons l’exemple d’un patient qui a fait des études brillantes. La famille se projette dans un avenir plutôt orienté vers des hautes études. Après la maladie, cela peut être difficile pour la personne de reprendre des études avec des pressions/un stress, elle va se rendre compte que c’est compliqué et identifier un autre parcours possible. Parfois, la famille va avoir du mal à le valider, la personne va alors se retrouver en conflit de loyauté vis-à-vis de la famille, jusqu’à parfois, consciemment ou inconsciemment mettre en échec le parcours de soin. En revanche, si on travaille en parallèle avec la famille, qu’elle est informée et formée sur la maladie de son proche, elle arrivera mieux à investir ce nouveau parcours. La famille aussi suit et chemine sur le parcours de rétablissement. Quand les familles sont accompagnées, les patients vont mieux, beaucoup de recherches vont dans ce sens.
Travailler dans une structure de réhabilitation : ouvrir le champ des possibles
Le travail en réhabilitation, j’y suis venue par hasard. Je voulais plutôt travailler avec des enfants, et quand on m’a proposé ce poste en psychiatrie adulte, je n’arrivais pas trop à me projeter. Finalement je me suis lancée et je me suis formée à la thérapie familiale, et je trouve ça génial. La réhabilitation et le rétablissement, pour moi c’est quelque chose auquel je crois fermement.
Je suis consciente tous les patients en psychiatrie, ne sont pas tous potentiellement « réhabilitables ».
La réhabilitation je trouve que c’est un champ passionnant, d’abord parce que ça ouvre plein de possibles, que ça se renouvelle sans cesse, que les outils changent, et dans ma profession je pense que je ne peux pas envisager de faire ce métier, si je ne me remets pas en question régulièrement, si je vis trop sur mes acquis, je n’aurais pas l’impression de faire du bien aux gens et je ne serai spas dans un « mouvement » de réhabilitation.
Je suis curieuse, j’aime bien découvrir différentes pratiques et c’est ça qui est intéressant dans le fait de travailler au sein d’une équipe pluridisciplinaire, c’est d’échanger sur nos pratiques.
Dans la réhabilitation, et le rétablissement il y a cette notion d’espoir qui est centrale et qui est déjà dans mon fonctionnement personnel. Je suis quelqu’un d’optimiste et c’est essentiel pour travailler en réhabilitation.
On a la chance aussi d’être en extra hospitalier, d’être ouvert sur le monde extérieur. Quand on est en hôpital, en intra, c’est parfois compliqué d‘avoir cette vision d’espoir quand on voit certains patients très sédatés, en chambre d’isolement, etc. Je peux comprendre que certains professionnels pensent que la réhabilitation c’est un champ utopique, ça je peux l’entendre.
Je pense que la nature humaine est riche, (même dans le champ du somatique on le voie), et a cette capacité de restauration, de réparation incroyable.
Ma vision du rétablissement ?
« L’espoir »bien sûr, mais ça c’est un peu bateau car cela revient dans toutes les présentations ! Dans le rétablissement ce qui est important pour moi, c’est le rire. C’est un patient rétabli qui témoigne beaucoup Gilles Vignaud, c’est son rire, car ce qui est souvent associé à la psychiatrie, c’est la tristesse, le regard éteint, des gens qui ne rient plus et lui son rire il vient de tellement loin. Donc pour moi c’est ça le rétablissement, c’est pouvoir « rire » à nouveau, reprendre vie, renaître un peu.