Dans son livre "Une folle jeunesse" paru cet été, Thomas Legras livre son témoignage sur la vie avec la bipolarité et son parcours de rétablissement. Dans cette interview, il revient sur l’importance pour lui de témoigner afin de donner de l’espoir aux personnes concernées et à leur entourage, et de contribuer à la déstigmatisation des troubles psychiques en abordant sans tabou les difficultés rencontrées. Un grand merci à lui pour son témoignage !
Résumé « Tu es bipolaire » C’est un psychiatre qui m’a dit ça. Il a ajouté ensuite que j’étais malade mental et qu’il allait falloir que je prenne un traitement médicamenteux lourd en effets secondaires toute ma vie. Je n’ai que 20 ans... Depuis quatre jours maintenant, je suis enfermé dans une des chambres de l’hôpital psychiatrique de Limoges. Ma fenêtre est verrouillée et je n’ai pas le droit de sortir de l’unité. Je ne comprends pas bien ce qu’il m’arrive. J’ai fait une dépression il y a quelques mois qui m’a obligé à arrêter des études d’ingénieur, mais c’est derrière moi. Je vais maintenant très bien et je n’ai qu’une envie, c’est mordre la vie à pleines dents. J’ai plein de projets, plein d’énergie, et pourtant, mes parents se sont inquiétés. Ce sont eux qui m’ont amené là. Ils trouvaient que j’étais trop speed et que je faisais n’importe quoi. D’accord, mon compte bancaire est à découvert depuis plusieurs semaines, mais ça va se résoudre très vite. Je fais de la contrebande de cigarettes avec l’Andorre, dès que j’aurai vendu mon stock, ça rentrera dans l’ordre. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ils disent tous que je vais mal. C’était il y a quinze ans, j’entendais le mot bipolaire pour la première fois de ma vie. Je découvrais alors cette maladie et les conséquences qu’elle entraînait sans en mesurer réellement l’ampleur. Durant les sept années qui ont suivi, j’allais enchaîner près d’une dizaine d’hospitalisations et cumuler plus d’une année et demie passée dans une chambre d’hôpital. Lorsque j’étais au plus mal, j’étais avide de témoignages dans lesquels je me serais reconnu. Rétabli depuis près d’une dizaine d’années, je vous livre maintenant le mien. J’espère que vous y trouverez des armes pour dompter votre trouble bipolaire ou celui de l’un de vos proches.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours en quelques mots ?
Je m’appelle Thomas LEGRAS, j’ai 37 ans, je suis marié, sans enfants. Je travaille dans un hôpital depuis 5 ans, dans un service qui traite les achats et les marchés publics. Je suis par ailleurs responsable de l’antenne de la Haute Vienne de l’association Argos 2001 qui vient en aide aux personnes touchées par les troubles bipolaires.
A l’âge de 19 ans, alors que j’étais étudiant, j’ai décompensé cette maladie psychique. Les sept années qui ont suivi, chaotiques, ont été une alternance de reprises d’études, de rechutes et d’emplois précaires.
Depuis 2010 et ma dernière hospitalisation, je suis rétabli. Je prends toujours un traitement médicamenteux aux effets secondaires désagréables mais dérisoires comparés aux souffrances endurées lors des décompensations.
Pouvez-vous nous présenter votre livre « Une folle jeunesse » ?
La première partie de ce livre est un témoignage de mon parcours de soin. Je reviens sur mes années de jeune adulte bouleversées par les troubles bipolaires. Dans la seconde, je dresse l’inventaire des piliers de mon rétablissement, comme l’alliance thérapeutique, l’hygiène de vie ou encore les traitements médicamenteux.
J’ai écrit mon texte à l’attention des personnes touchées par cette maladie, pour leur donner l’espoir d’un rétablissement de qualité et leur transmettre les astuces et les stratégies qui m’ont permis de retrouver une bonne santé mentale.
Ce livre s’adresse également aux membres de l’entourage des personnes touchées par les troubles bipolaires pour qu’ils parviennent à mieux comprendre les agissements de leur proche, pour qu’ils s’affranchissent de toute forme de culpabilité et qu’ils prennent part à l’alliance thérapeutique indispensable au rétablissement.
Enfin, j’espère que mon texte apportera une modeste contribution à la déstigmatisation des maladies mentales en abordant sans tabou les difficultés que j’ai rencontrées.
Comment en êtes-vous venu à l’écriture ? Pourquoi avoir ressenti le besoin d’écrire un livre témoignage sur votre parcours ?
Lorsque j’étais au plus mal de mes dépressions, j’étais avide de témoignages de personnes atteintes de troubles bipolaires. Ceux que j’ai trouvé à l’époque étaient livrés par des personnes qui avaient décompensé cette maladie autour de l’âge de 40 ans. Les retentissements sur leurs vies étaient très éloignés de ceux que je subissais, j’avais à cette époque entre 20 et 25 ans. J’aurais alors aimé pouvoir lire un livre comme le mien, me rendre compte que d’autres personnes passées par les moments difficiles que je traversais avaient réussi à se rétablir et à trouver un emploi.
Plusieurs années après, alors que mon trouble bipolaire était soigné et que j’avais réussi à me stabiliser professionnellement et affectivement, j’ai eu envie de venir en aides aux personnes touchées par cette maladie. Je l’ai fait au sein de l’association Argos 2001, puis, dans le prolongement de cet engagement, j’ai pensé que raconter mon expérience pourrait servir à de jeunes adultes confrontés à cette maladie. Et comme j’aime écrire, j’ai pris du plaisir à mener à bien ce projet d’écriture.
Avez-vous d’autres projets d’écriture ou de témoignage à venir ?
Pas pour le moment. Je m’investis pleinement dans mon activité associative, dont ce livre est un complément. Avec les autres bénévoles de l’antenne locale que je dirige, nous proposons un accompagnement complémentaire des soins, nous mettons à la disposition des personnes qui nous contactent les astuces que nous avons mises en place pour aller bien, pour qu’elles puissent s’approprier celles qui leurs correspondent et ainsi gagner du temps dans leur cheminement vers le rétablissement.