Un poème sur la bipolarité, par François Flaven

Dans cet article, proposé par François Flaven, qui vit avec des troubles bipolaires, nous vous invitons à partir à la découverte de quatre de ses poèmes consacrés à la bipolarité.

« Patient ressource en santé mentale depuis octobre 2017, je vis avec des troubles bipolaires depuis de nombreuses années (46 ans). Stabilisé depuis vingt ans et rétabli depuis sept ans, j’ai eu l’occasion, ces sept dernières années, d’accompagner plusieurs personnes vivant avec des troubles bipolaires afin qu’elles puissent prendre ou reprendre le chemin du rétablissement.
Il y a quelques années, j’ai réfléchi au moyen de toucher un grand nombre de personnes pour les sensibiliser aux problématiques de santé mentale et lutter contre la stigmatisation. L’écriture m’a semblé être un medium intéressant.
En 2019, j’ai publié un roman, Alice, qui met en scène une jeune femme de 30 ans vivant avec des troubles bipolaires sans le savoir. Puis j’ai décidé d’écrire quelques poèmes susceptibles de servir de point de départ à des discussions, au sein d’ateliers, sur les problématiques engendrées par les troubles psychiques et leurs manifestations. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit plusieurs poèmes sur la bipolarité, un autre sur les angoisses, un troisième sur la solitude et un quatrième sur la difficulté à s’endormir.
Les quatre poèmes sur la bipolarité traitent de choses que j’ai bien connues par le passé, mais que je connais encore aujourd’hui, comme la solitude et la difficulté à aller me coucher. Ils sont également les témoins de ce que j’ai pu traverser jusqu’à aujourd’hui, notamment s’agissant des causes du déclenchement de mes tocs, à l’âge de 9 ans, et de ma bipolarité, à l’âge de 11 ans.

J’espère donc que ces poèmes feront écho à ce que vous rencontrez ou avez pu rencontrer et qu’ils vous aideront, à votre tour, à prendre la parole pour vous et/ou pour les autres. »

Dans cet article, nous vous partageons quatre de ses poèmes sur la bipolarité, et nous vous invitons à découvrir la suite de ses poèmes à la bibliothèque du centre ressource.
Bonne lecture !

Complainte des soleils noirs et rouges, chant du soleil retrouvé

François Flaven
Décembre 2023 – Janvier 2024

D’abord, la joie d’être un petit garçon plein de confiance en lui. Qui travaille bien à l’école. Et, très vite, la peur, immonde, celle qui foudroie et frappe par surprise. On l’écarte. Elle est injuste, elle est insupportable, elle devient la règle. De celle qui aurait dû aimer, câliner et rassurer. Ses mots qui tuent, ôtent la confiance et la joie. Laissent le petit homme désemparé. Sans voix. Vient la peur, de tout, à tout moment, sans repos, sans souffle, sans un instant. Qui oppresse, malmène, terrorise, empêche, cadenasse laisse un goût de fer, inimitable, angoissant dans la bouche.

La malfaisante mange. Le temps, l’attention. Elle submerge. Paralyse, comme des hordes de guerriers sanguinaires dévalant la montagne pour vous harceler, inlassablement.

Alors, si tôt, viennent les troubles. Obsessionnels, compulsifs, les tocs si fameux tocs, prémices d’un dérèglement majeur. L’esprit abimé et aux abois.

Comment prêter attention aux personnes et aux choses. Trop occupé à gérer le jour, l’humeur négative. On voudrait avancer, grandir sur un chemin sécurisé dont les obstacles ne seraient que des ailes.
Souffrant, peinant, l’esprit ne peut plus que le quotidien. On le traite d’égoïste, de lent, de simplet, d’inconséquent quand toutes ses forces jetées dans la bataille ne peuvent contenir que l’innommable douleur. Celle qui hurle dans une détresse immense.

Survient la dépression. Incomprise. Lentement elle grignote, elle dévore, brise les élans de la vie. Dans ses lambeaux de conscience dévastée, morceaux épars, déchiquetés, persuadé d’être seul au monde, le malheureux se jette à terre, entre impuissance et dégoût de soi.
Pour ne pas en finir avec la vie, irrésistible tentation, il faut une volonté, cette dame de fer dont on ne sait le pays natal. Qui peut l’imaginer ? Voler un quignon de sommeil, se forcer d’une bouchée de pain, se doucher, aller au travail travailler, des montagnes. Chaque seconde pour ne pas se jeter sous une voiture, un tramway, un bus, un métro, un train. Des roues qui reposeraient enfin.

Les médicaments apaisent. Les idées noires, leurs maléfices s’éloignent. Lentement. Petitement. On voit ses amis, on fait du sport, on étudie… on se regarde faire, détaché de soi. On est scruté, surveillé, jugé. Un anniversaire ? On se planterait le couteau dans le ventre. Flashes suicidaires, au ski, au golf, en nageant ou faisant son jogging. Les reproches fusent. On est trop lent, simplet, demeuré, pas assez intelligent. Rien n’est dit. Un murmure. On cherche à se contenir, à ne pas hurler en pleine réunion. Le soir on s’effondre. Pour ne pas dormir, tant submerge l’angoisse.

Soudain, réponse à la malédiction, l’esprit assiégé se révolte, puise dans ses ressources cachées l’incroyable puissance d’être soi ! Tout est possible, devient facile. Les obstacles, insurmontables murs de Jéricho, s’effondrent. Les peurs s’envolent, la frénésie de vivre déploie ses ailes, démesurées. On dort peu. Tornades incontrôlables, des gestes naissent, enflent, éclatent, rencontres fugitives, partenaires d’une nuit, négligées, oubliées. S’étourdir, dépenser sans compter, multiplier les chimères. Rattraper le temps perdu, le temps gâché, la cruauté du temps si longtemps immobile. Vitalité d’exception, on dévore la vie.

Bientôt, la culpabilité et son hideux visage, molosses déchaînés, accourent. Les heures sombres reviennent. Le cycle de l’enfer. L’inépuisable appétit de vivre devenu honteux comme un retour à l’ordre. Une « folie circulaire », invincible et rancunière. S’installe l’hydre noire en son terrifiant visage. En finir, délicieuse tentation. Se reposer, ne plus souffrir, partir pour de bon. On y pense, cent fois, mille fois, en ce combat qui use et laisse ses ravines.

Pourtant, la force demeure. Inexpliquée. Le fer se fait acier. Une volonté de comprendre plus forte que la souffrance. Depuis trois décennies, elle détourne du funeste projet. Quel est son nid. Les parents ? L’enfance ? Les accidents de la vie si durs pour des esprits sensibles ? Le manque d’amour, assise de tout désordre ?

Diagnostic, psychoéducation, psychothérapie, traitement quotidien, deux décennies pour se stabiliser, se rétablir. Un jour, d’un surplus de parole jaillit la mémoire et le feu de la vérité. Celle d’un petit garçon sans défense, sans âge de comprendre. A voir subi des coups, physiques, puis leurs doublons visant au cœur par leurs chantages au suicide. Car une mère esseulée, faisant ses petits comme des chiots à chaque nouvelle aurore, ne voulait que sa tranquillité et coupait court aux élans innocents de l’enfance.

Le secret d’une blessure par la parole libérée. S’entendre la dire à haute voix, cette voix qui dit ce que furent les choses et leur choc paralysant. L’anxiété disparaît, les tocs résiduels, les phobies d’impulsion s’effacent. Tout comme l’immense colère, sourde, constante, malfaisante, non identifiée dans sa cause, et ses hideux cauchemars. Survenu quatorze ans plus tôt, le psoriasis invasif s’efface aussi. Reste à reconstruire une terre nouvelle où la violence contre soi n’a plus d’emprise.

On revient de loin. Quarante-sept années de combat. Une incroyable résistance pour un survivant. Un combat que des phrases lues ou entendues ont incroyablement aidé. Des maximes, des aphorismes si peu enseignés. Issues du fond des âges, qui stabilisent, rétablissent et guérissent.
D’abord, « Dans la vie, il faut toujours savoir pourquoi on fait les choses ». Courte phrase, péremptoire, orgueilleuse, ambitieuse. Dans un premier élan dont on se moquera. Associée à son corollaire, « Laissons le moins souvent possible la voix au chapitre de son inconscient. », elle débusque, traque les automatismes, les irréfléchis, les fait éclater à la conscience. Pourquoi Charles Foster Kane, le citoyen Kane, amasse-t-il des sésames d’œuvres d’art dans les sous-sols de Xanadu, son immense demeure ? Enfant, il a manqué d’amour. Il comble. Il comble le vide. Ce que dit sa luge, « Rosebud », jetée dans un grand feu pour faire le ménage et brûler les objets sans valeur. Rosebud, il y en a beaucoup et peu dans le 7e art et dans la littérature. Dans nos vies, quelques-unes font date. Il faut les reconnaître et en prendre la mesure.
Et celles-ci. « D’abord, ne pas nuire », dit le célèbre médecin Hippocrate : par les soins apportés, ne pas aggraver l’état d’un patient. Ce que l’on étendra à toute notre vie. Un précepte capital pour qui souffre de troubles psychiques.

« Un homme veut tout et son contraire. » Et, en écho : « Il faut toujours savoir pourquoi on fait les choses. » « Un homme, ça s’empêche… ». Une résolution capitale pour qui veut aller mieux, se stabiliser et se rétablir durablement.

« On ne convainc pas avec des idées, mais par l’exemple. » Ce que fait un pair-aidant pour un patient en plein combat. « Quel est le point de départ de tout désordre ? Tout commence par un manque d’amour. », écrivit un philosophe chinois il y a 2500 ans. Tous les troubles psychiques ne sont pas dus à un manque d’amour. Un très grand nombre le sont. La plupart viennent d’une enfance difficile. Avant les traitements médicamenteux qui soignent et apaisent en surface, les médecins devraient les mettre au jour. Les addictions compensent. Une béquille dans le pétrin du quotidien. Un mal pour un bien.
La sortie du tunnel fut longue. La souffrance dure, si dure qu’en sourdine toujours elle perdure. S’il n’est jamais trop tard, l’avenir reste incertain. Demeure de nombreux souvenirs imprimés au fer rouge. Et une poignée d’autres, qui apaisent et réconfortent comme l’amour d’un père. Des projets d’écriture qui maintiennent en vie. Et des amis, précieux. Pour une fragile croisière, fidèle compagne du quotidien.

Une quête incessante pour découvrir où tout commence. Sans cela, les symptômes persistent. Se dérobent le calme, la sérénité, la jouissance du moment, le plaisir du futur, ce qui devrait être de bons moments partagés.
Demeure encore et la volonté de vivre et d’aller de l’avant. Profiter de l’instant, se délecter de ce qui s’offre à soi. Enfin souffler et se dire : « Je n’ai rien lâché. »

La « belle » sournoise

François Flaven 7/12/2023

Né un mois d’hiver, Janus me fut préjudiciable
Ses deux visages, hélas, reflétaient mes tourments
Mon enfance, brillante, filtrait une souffrance aimable
Tout comme les soleils qui m’irradiaient par moments

Longtemps, j’ai cru à une terrible malédiction
Longtemps, j’ai cherché la cause de ma condition
Etais-je né pour souffrir jusqu’à perdre la raison ?
Qu’allais-je devenir ? La nuit, mon seul horizon ?

Bien des fois, j’ai vu l’Enfer et failli renoncer
Jeté à terre en morceaux, incapable de marcher
Tandis que les étés invincibles me faisaient oublier
Les tourments, la tristesse, l’horreur et l’anxiété

Les femmes étaient mes parenthèses enchantées
Même si l’ennemie patientait, sûre d’elle et ravie
Je dévorais leurs sexes humides tel un fauve assoiffé
Puis les plaisirs s’estompant, la noirceur rejaillit

Longtemps, j’ai cherché d’où venait mon Mal
Etait-ce héréditaire ? Qui l’avait déclenché ?
On me disait froid, distant, le sourire animal
Ma souffrance, furieuse, dissimulée, bâillonnée

Jamais je n’eus conscience d’avoir été maltraité
D’avoir reçu de vils coups de la mère nourricière
Moi, l’enfant sage, ordonné, désireux d’être aimé
De celle abhorrant la vie et ses prodigieux mystères

Un jour, le mot de trop, les souvenirs me sonnèrent
Enfant, l’invivable, indicible, s’était imposé à moi
L’éclair me frappa, lucide, les liens se nouèrent
La maladie, tapie, n’avait eu d’autres choix

Héréditaire, sûrement, mais seulement en partie
Elle émerge, se nourrit des accidents de la vie
Identifier la genèse, voilà la clé du combat
Mais s’efface par les mots qu’on expulse hors de soi

Combien d’erreurs, de fautes ai-je à pardonner ?
Retrouver la confiance, faire le deuil d’une vie
Chasser loin de moi cette culpabilité abhorrée
Qui jamais n’aurait surgi sans cette infamie

La violence, c’est les coups et les mots qui tuent
Frappent avec stupeur celui qui les reçoit
Laissent exsangue la maisonnée dépourvue
Chassent la douceur, le bonheur avec effroi

A l’automne de ma vie, l’avenir, enfin, me sourit
La lutte fut terrible, mais le guerrier est serein
Parents tourmentés, jamais ne frappez vos petits
L’amour les nourrit et les construit pour demain

Les montagnes russes sont belles quand elles s’aplanissent

J’ai longtemps cru que ma vie ici-bas n’était faite
Que de hauts et de bas, que rien n’était une fête
Qu’à certains moments, j’étais un véritable dieu
Invulnérable, séducteur, présent en mille lieux
Dépensant sans compter, multipliant les projets
Invincible, le jour, la nuit, le monde me souriait
Et qu’à d’autres, je sombrais dans un abîme, perdu
Appelant la mort pour me reposer d’une vie déchue

Le revers de la médaille, mes amis, a un prix
Fort élevé, il est vrai, chaque jour je dois lutter
Véritable coquille vide, mélancolique, terrifié
J’erre sans but, sans espoir, redoutant la folie
La maladie, telle une hydre, étouffe ma raison
Elle me broie sans pitié en toutes saisons
Mais trouvant l’énergie de forcer mon destin
Ma volonté farouche et les armes à la main
Je me bats, refusant d’être mis sur la touche

Il y a, heureusement, des moyens de résister
De garder l’espoir de lendemains meilleurs
Pour cela, avoir, malgré les pleurs, le courage
D’affronter l’orage et de surmonter ses peurs
Psychoéducation, traitement et psychothérapie
Nous aident à nous stabiliser, à retrouver nos amis
Le vent mauvais n’est bientôt plus qu’un souvenir
Accueillons les jours heureux, profitons de l’avenir.

La bipolarité

Depuis toujours, elle me séduit par ses caresses
Se dit mon amie, mais c’est une grande traitresse
Elle m’habite jour après jour, me ment et me perd
Elle ne m’a pas laissé le choix, c’est l’été ou l’hiver

En permanence, je la surveille, le pouvoir elle veut
Elle guette une faille, elle est comme le lait sur le feu
Mais je la contiens, je la connais bien, je ne lui laisse
Aucun répit. J’ai mon traitement et la psychothérapie

Je l’observe, la scrute, je mène une grande bataille
Séductrice, à pas menus, elle avance ses pions
Ma fragilité la sert, toujours elle me raille
Et me dit : A quoi bon ? Tu n’es pas un champion.

Cette maladie de l’esprit qui fausse ma vision
Me tend souvent des pièges, elle agite ses fanions
Elle me rend si fort que j’en reste étourdi
Et parfois, si faible, que je n’ai plus d’énergie

Les hauts sont enchanteurs, les bas, dévastateurs
Je ne puis lutter à armes égales, il me faut un tuteur
Contre cette malédiction qui peut être fatale
Elle est sournoise et maléfique. N’est-elle pas totale ?

Mais le temps et le courage, souvent, changent tout
On peut vivre simplement en apprivoisant le loup
Il faut nourrir tout le temps ce qui est bon en nous
Et assoiffer cette mélancolie qui nous pousse à bout.