[Témoignage] « Ce travail n’était pas possible tant que je n’avais pas le diagnostic d’autisme. Il me manquait l’essentiel »

Marie-Laure a été diagnostiquée autiste à 40 ans, après une longue période d’errance. Maman de deux enfants autistes également, elle a souhaité nous livrer son témoignage sur son parcours et partager avec nous les outils qu’elle a pu mettre en place pour mieux vivre au quotidien.

Un long cheminement avant le diagnostic

En avril 2021, mon fils a reçu le diagnostic de Trouble du Spectre Autistique, à l’âge de 13 ans ; à partir de là, je me suis plongée dans des lectures à ce sujet, des témoignages, et je me suis rapidement questionnée à propos de moi. Tout faisait écho, c’était profondément troublant, je ressentais l’intuition que « c’était ça ».

J’étais passée par un burn-out en janvier 2020, et une reprise en septembre 2020 à mi-temps thérapeutique, avec une reconnaissance de handicap pour trouble psychique. Je n’étais pas à proprement parler dépressive. Je ne me reconnaissais pas du tout dans le trouble bipolaire, pourtant avancé par ma psychiatre de l’époque ; dans ce trouble bipolaire, il y a cette phase maniaque, où toutes les inhibitions sont levées, or cela ne m’arrive jamais, je suis toujours très « réglo » avec ce que je comprends des règles et des lois, je ne vais pas aller faire quelque chose de totalement loufoque et incongru... Je suis en revanche parfois très impulsive, et très excessive dans mes intérêts, mais ces signes étaient ceux du TSA, pas du trouble bipolaire, ce que j’ai compris désormais.

Lorsque j’ai parlé du TSA à ma psychiatre, elle a tout d’abord éludé ; je lui en ai reparlé à une deuxième séance, et elle a complètement écarté cette piste en disant « je ne connais pas vraiment le TSA, mais on peut écarter cette piste », propos qui me semblaient fort peu logiques et qui m’ont « mis une claque ». Or, moi, je la tenais, cette piste ! Et, toute rigide que je suis, quand j’ai décidé quelque chose, comme un chien qui ne veut pas lâcher son os, il faut que j’aille jusqu’au bout, je savais qu’il me fallait suivre ce questionnement, et que je le ferais ; et donc qu’il me fallait quitter ma psychiatre. J’ai arrêté mon suivi en mai 2021, et entamé le pré diagnostic avec une psychologue dans le privé, conseillée par une association spécialisée sur l’autisme. Cette période sans psychiatre était très difficile pour moi, car je me sentais absolument sans filet. J’avais hâte de savoir ce que dirait le pré diagnostic, je me sentais en apnée en attendant, j’étais extrêmement angoissée, et je pense que je ne pouvais plus voir grand monde ni parler vraiment d’autre chose à ce moment-là…

Le pré diagnostic est arrivé fin juillet 2021, avec un seuil TSA largement dépassé aux évaluations. C’était un immense soulagement. J’avais bien fait de me mettre en danger et de quitter ma psychiatre pour suivre mon intuition. J’avais eu raison de me faire confiance envers et contre l’avis de ma psychiatre et malgré la souffrance que cela m’avait coûté !

Ensuite, j’ai rencontré une psychiatre formée à l’autisme, puisqu’il était évidemment hors de question que j’aille chez « n’importe quel » psychiatre. En un rendez-vous, elle a confirmé le pré diagnostic, et le diagnostic officiel de TSA était posé ; je venais d’avoir 40 ans. C’était une bonne nouvelle, mais un séisme tout de même…

« Depuis tout ce temps, j’étais autiste, et personne n’était là pour m’aider… pas étonnant que j’aie rencontré des difficultés et un mal-être si profond… ».

La mise en place d’un suivi adapté

J’ai ensuite mis à jour mon dossier MDPH en fonction. J’ai poursuivi un suivi en TCC avec la psychologue du pré diagnostic, qui est exceptionnelle et constitue mon meilleur appui depuis cette découverte. Je rencontre également la psychiatre une fois tous les deux mois, et elle surveille mes états de fatigue, d’anxiété, elle est également un appui sûr car, il suffit qu’elle repère quelques légers signes, comme l’hyperactivité verbale, l’émotivité ou l’anxiété exacerbée, pour qu’elle m’impose de m’arrêter professionnellement ; c’est un grand soulagement lorsque cela arrive, signe que j’étais effectivement en surcharge, mais que je n’arrivais pas à l’exprimer... Je suis satisfaite aussi de mon médecin traitant, qui, dès le départ, s’est positionnée avec réserve (« ne connait pas suffisamment »), puis elle s’est vraisemblablement renseignée a minima, et a compris que les signes visibles étaient la fatigue, l’anxiété, et elle m’a également soutenu dans ce sens sans chercher midi à quatorze heures. J’ai beaucoup apprécié qu’elle sache faire preuve d’humilité.

Par la suite, j’ai fait dépister ma fille, qui présentait des signes si similaires aux miens au même âge : émotivité extrême, pour des « broutilles », semble totalement bouleversée et semble perdre ses moyens ; beaucoup d’anxiété ; une personnalité tellement différente à l’école (inhibée, timide) et dans la sphère familiale (extravertie, drôle, volubile), troubles de l’endormissement, etc... Le diagnostic TSA a été posé pour elle en avril 2022, elle avait 12 ans.

Des aménagements facilités avec le diagnostic

Le diagnostic nous a apporté tellement de choses, à chacun, qu’aucun de nous ne le regrette. Les aménagements de l’environnement sont extrêmement facilités lorsque l’on prononce le mot « autisme », que ce soit au niveau du travail ou de l’école. Obtenir ces aménagement me demande des efforts, notamment des efforts pour communiquer, ce qui n’est pas gagné pour une personne autiste.., mais les aménagements sont proposés ou acceptés par les personnes en charge de l’autorité. La personne dans sa particularité est prise en compte, avec sérieux. Il y a une fatigue, au travail, à l’école ? Oui, c’est entendu, on accepte des aménagements d’emploi du temps. Du moins, au niveau des décideurs… pour ce qui est des pairs, c’est beaucoup moins évident… On en est toujours à « mais elle n’a pas l’air autiste » ou « elle regarde très bien dans les yeux », « elle a un très bon contact, elle entre très facilement en relation », ou bien « c’est un autisme vraiment très léger, donc pas bien grave » ou « avec un HPI, cet autisme est compensé et donc quasiment annulé » ou « on est tous un peu autistes »…

Une suspicion semble persister, comme si on avait inventé ou exagéré tout cela, ce qui est très douloureux voire insultant lorsqu’on a déjà vécu l’injustice de ne pas être diagnostiqué et accompagné tôt dans sa vie, et ce qui ne nous permet pas d’évoquer en confiance nos difficultés ou besoins auprès de nos pairs.

Notre stratégie actuelle est donc toujours de passer par le hiérarchique, en nous appuyant sur la personne la mieux placée pour imposer certaines choses, ou nous aider à faire connaitre nos besoins.

Lorsque les aménagements ne sont pas acceptés par une institution, je sais que j’ai le droit de m’en plaindre, d’avoir des recours, et cela me soulage grandement, plutôt que de subir les comportements comme je l’ai toujours fait, en me taisant, en me disant que c’était à moi de m’adapter, qu’il le fallait, que je n’étais vraiment pas normale d’avoir tant de mal à le faire, et je souffrais de migraines, quasiment tous les jours.

J’ai pour cela l’exemple du tribunal, où la juge aux affaires familiales, en audience avec mon ex-mari, m’a crié dessus en me disant « vous avez eu tout le temps pour vous préparer et vous n’êtes pas capable d’exprimer vos demandes ?! ». Auparavant, je me serais culpabilisée, en me rabaissant plus bas que terre, reprenant ses propos comme des vérités « je ne suis pas capable d’exprimer mes demandes alors que j’avais le temps de me préparer… Je suis vraiment nulle ». Aujourd’hui, je peux me défendre : « comment peut-elle me reprocher cela alors que j’ai exprimé, dès le début de l’audience, de manière intelligible, que j’ai un trouble du spectre autistique, et, par conséquent, des difficultés à communiquer.. ? Elle est en tort, d’après la loi de 2005 sur l’inclusion. Je peux même faire un recours au Conseil Supérieur de la Magistrature pour dénoncer ce comportement ». On voit bien, dans cet exemple, à quel point la violence de l’événement peut être allégée par ma connaissance de mon trouble, puisque je peux me défendre mentalement. Pour autant, je tiens à préciser que l’évènement est resté très violent pour moi, et qu’il m’a fallu toute une après-midi en « bulle » pour commencer à m’en remettre.

La mise en place d’un protocole de crise

Cet évènement m’a permis de mesurer également la force du travail mené depuis plus d’une année avec ma thérapeute. Car les outils d’aide vers lesquels elle a pu me guider me sont tout de suite venus à l’esprit suite à l’épisode du tribunal : je savais que j’avais besoin d’un temps en « isolement », qu’il me fallait penser à respirer, à boire. Que je ne devais pas prendre avec trop de sérieux mon anxiété du moment, ni les idées négatives qui pouvaient s’y associer, que je devais différer. Puis j’ai eu un état de « eureka », où je me suis mise à coucher par écrit un « protocole » de crise autistique, en reprenant les indicateurs (les miens, ceux de mes enfants, qui doivent absolument nous « faire tilt » ;

Par exemple, pour ma fille, c’est quand elle a les larmes aux yeux et ne peut plus parler du tout ; pour mon fils, c’est quand il n’a plus de forces, que son dos est vouté, qu’il a besoin d’être allongé. Pour moi, c’est le sentiment d’hyperactivité, avec un énervement de tous mes membres, un frétillement des mains…) ; puis l’étape de « récupération émotionnelle », en se coupant de tout stimulus. Et j’ai détaillé ensuite l’étape d’ « introspection », qui correspond au travail que j’ai pu mener, selon les situations, avec ma psychothérapeute, et que j’ai essayé de mettre à portée de mes enfants : un choix multiple de situations-types qui peuvent avoir été à l’origine de la crise. Un choix multiple de fonctionnement neurologique particulier correspondant à la difficulté rencontrée dans cette situation (le manque de flexibilité mentale ou d’inhibition, le déficit de régulation émotionnelle, les particularités d’intégration sensorielle, les particularités liées aux interactions sociales et à la communication). Une question concernant les pensées automatiques d’auto-dénigrement, et quelles sont les pensées alternatives qui pourraient les remplacer. Enfin, des moyens de pouvoir « dépasser » l’évènement, en l’écrivant, en le communiquant, en agissant, de manière de préférence différée et indirecte pour mettre à distance, mais étape nécessaire pour pouvoir clôturer l’évènement. Ces manières de faire face aux évènements constituent un réel travail personnel de restauration de l’estime de soi. Ce travail n’était pas possible tant que je n’avais pas le diagnostic d’autisme. Il me manquait l’essentiel.

Une échelle de la fatigue

Parmi les outils que j’ai mis en place, il y a aussi une échelle de la fatigue. J’ai pris conscience que je pouvais me laisser prendre par mon sujet en cours, au point de ne plus du tout être consciente de mes états corporels ; j’oublie de boire, d’aller aux toilettes, j’oublie le temps… et je me retrouve épuisée. J’ai compris qu’il me fallait avoir de la rigueur, des protocoles, là aussi. J’essaie donc de me tenir à mon emploi du temps où j’ai indiqué les temps de pause. J’essaie de me tenir à faire un temps de sophrologie lors de la pause déjeuner pour couper mon cercle d’hyperactivité. J’ai noté les indicateurs que j’ai pu conscientiser et qui correspondent à des signes précurseurs de fatigue, et je les ai gradués selon 4 états : serein, un peu fatiguée, très fatiguée, épuisement ; La psychothérapeute m’a ensuite indiqué de m’arrêter une demi-journée voire une journée pour le premier niveau de fatigue, puis plusieurs jours pour le niveau suivant, et plusieurs semaines pour le niveau le plus prononcé de fatigue. Cela est vraiment très aidant, j’arrive bien mieux à repérer ces signes désormais, et donc à m’arrêter avant d’être dans un état trop dégradé, ou du moins à signaler au médecin ou à la psychiatre que j’ai atteint ces signes. Cet état trop dégradé se décrit par un dysfonctionnement exécutif : je n’arrive plus à planifier, donc tout devient pénible, que ce soit faire les courses, planifier les repas, prendre ma douche, choisir mes habits… et avec cela, forcément, une très grande anxiété qui est durable et longue à dépasser.

Je ne peux pas non plus mettre tout le crédit sur le suivi psy et médical, car j’ai également bénéficié de la formation CNIA (Certificat National d’Intervention en Autisme), financée via mon CPF. Cette formation était constituée d’une partie théorique et d’une partie pratique. J’ai effectué un stage auprès d’un public d’enfants et adolescents autistes non verbaux pour la plupart. J’ai également participé au colloque GNCRA en mai 2022.

Ces formations ont permis de nourrir suffisamment ma soif de connaissances sur le sujet ; j’ai atteint le niveau de maîtrise que je souhaitais, et ce niveau de maîtrise m’a aidée à identifier les situations : ici, c’est le manque de flexibilité cognitive qui fait que je vis ce changement imprévu comme une porte qu’on vient de me claquer à la figure, avec maux de tête associés ; ou le fait d’avoir été interrompue de façon brutale et malpolie. Ici c’est mon manque d’inhibition qui fait que je parle à outrance sans pouvoir m’arrêter, et qu’on est obligé de m’interrompre ! Ici, c’est ma difficulté de régulation émotionnelle qui fait que je me sens totalement débordée par mon émotion et en détresse. Ici, ce sont mes particularités sensorielles qui font que cette attente au milieu de gens mouvants me donne un sentiment de vertige et de peur intense. Ici ce sont mes difficultés de communication qui me mettent en difficulté pour exprimer mon opinion ou mon désaccord et qui me donne la sensation d’être « prise au piège » avec tout le stress qu’on peut imaginer... Mieux comprendre toutes ces choses me permet d’être plus en adéquation et en bienveillance avec moi-même, sans cette dissonance cognitive perpétuelle dans laquelle j’étais auparavant, et de pouvoir mieux communiquer pour qu’autrui se montre également plus bienveillant avec moi. La clé du bien-être de la personne autiste sans déficience repose donc, il me semble, essentiellement sur la formation et l’outillage de la personne elle-même. A commencer, donc, par le diagnostic, qui est le premier outil.

Lutter contre les idées reçues

Après une année, j’ai senti que j’étais prête à communiquer aux professionnels qui, dans notre parcours diagnostic, à moi et à mes enfants, avaient réfuté l’hypothèse de l’autisme (une psychiatre, un neurologue et deux neuropsychologues). Je trouvais que c’était grave, et il me semblait important de leur faire ce feed-back pour qu’ils ne reproduisent pas la même erreur avec quelqu’un d’autre. Je leur ai conseillé de se former, ou bien de mettre de la mesure dans leurs affirmations, en reconnaissant humblement leur non-maîtrise du sujet, et en renvoyant vers l’avis d’un autre professionnel. Mais de ne pas s’avancer sur une réfutation. Surtout pour un professionnel para-médical, et donc non médecin. Je trouve cela très choquant et je sais désormais que cela constitue une faute professionnelle, si l’on s’en tient aux recommandations de bonnes pratiques de la HAS.

Je conseillerais également aux professionnels de faire attention aux préjugés, notamment raciaux, puisque j’ai entendu, pour mon fils qui est métisse asiatique, que « c’était culturel, en Asie, de peu parler et de baisser les yeux » (le neuropsychologue). Un autre biais rencontré sont les éléments soit-disant cliniques associés au HPI. La surmédiatisation de ce thème, plus flatteur que l’autisme, porte directement préjudice au dépistage de ce dernier « vous n’êtes pas autiste, vous êtes HPI, et donc cela explique vos particularités sensorielles, vos difficultés d’interactions, votre côté excentrique, etc… ». Erreur grave ! Ces signes imputés au HPI doivent évoquer l’autisme, et non l’inverse !!!

J’ai appris aussi à répondre aux personnes qui minimisent le fait qu’on peut avoir un vécu difficile quand on est autiste sans déficience intellectuelle.
Je sais répondre désormais, qu’ils peuvent affirmer qu’en ce qui concerne l’impact sur l’environnement, sur les proches, les difficultés peuvent effectivement être moindre que dans le cas de personnes dont l’autisme est sévère et ayant très peu d’autonomie. Mais que, en termes de santé mentale, de souffrance, ils ne peuvent pas le savoir ; et que les taux de suicide plus élevés chez les personnes autistes sans déficience (évoqués au GNCRA) sont sans équivoques… Ce thème me touche très particulièrement, moi qui vient d’une famille comptant quatre membres qui ont commis un suicide (aucun n’avait reçu de diagnostic de TSA ; les signes étaient là, mais l’époque était encore moins favorable au repérage de l’autisme…) ; la responsabilité est grande pour les professionnels, et chaque personne, chaque famille doit être prise très au sérieux lorsqu’elle se questionne sur le TSA, comme le recommandent les RBP de la HAS. Les médecins ne peuvent « balayer » cela de manière certaine et doivent faire preuve d’humilité en acceptant de creuser la piste, car l’enjeu de santé est grand !! Ce sujet me tient particulièrement à cœur, au vu de mon vécu familial, et j’espère que tous mes efforts pour faire mieux connaître rendront justice à ces personnes de ma famille parties injustement.

Aujourd’hui, je traverse toujours cette période de « RESET » liée au diagnostic à l’âge adulte, qui est coûteux en énergie puisque tout doit être revu avec le prisme de l’autisme, mais qui est plein d’espoir et je la traverse avec bonheur car j’ai enfin toutes les clés en main pour le faire, et les appuis. Je remercie toutes les personnes qui savent entendre l’expression de mes besoins sans les mettre en question : c’est le meilleur renforcement positif pour aider la personne autiste, qui a tendance à n’exprimer qu’une seule fois ses besoins ou se taire à jamais…. Ces personnes-là sont donc le meilleur appui.