[Itw] Pair aidance et traitements médicamenteux avec Emmanuelle Nicou-Douriez

Interview de Emmanuelle Nicou-Douriez, Pair-aidante en santé mentale et neurodéveloppement
Unité Transversale d’Éducation pour le Patient (UTEP) - Pôle Universitaire de Psychiatrie Adulte (UNIVA)
CH. Charles PERRENS & Présidente de l’association Psy’hope pour les personnes ayant des troubles de l’humeur

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre activité en tant que pair-aidante ?

On peut dire que je suis pair-aidante depuis 8 ans. Tout d’abord, de façon spontanée en créant fin 2015 le blog intitulé « blog de l’espérance « devenu « Psy’hope ».
Ensuite, en 2017, l’association Psy’hope qui réunit des personnes ayant des troubles bipolaires a été créée en prolongement du blog. Puis, en 2020, en devenant pair-aidante professionnelle au CH Charles Perrens à Bordeaux.

Dans votre pratique, est-ce que vous abordez les traitements médicamenteux ? Si oui, dans quel cadre ?

Oui, je suis amenée à parler des médicaments avec mes trois casquettes : blogueuse, pair-aidante bénévole dans mon association et pair-aidante professionnelle à l’hôpital.

Est-ce que les personnes que vous accompagnez vous sollicitent pour en parler ? Si oui, dans quelles situations ?

Je peux être amenée à en parler à l’hôpital ou dans l’association où c’est un sujet récurrent.
Par exemple, les adhérents sollicitent souvent les expériences des autres avant de commencer la prise d’un nouveau médicament et notamment : les effets secondaires (prise de poids, perte de cheveux, tremblements, sédation…etc), les effets à long terme sur les symptômes, si ce médicament est connu et prescrit souvent ou non, en association avec d’autres médicaments ou non, la durée de prescription ….etc. Ils le font dans le cadre des groupes de parole hebdomadaires en visioconférence, ou dans le groupe Whatsapp en continu et en temps réel (dans l’heure ou la journée, ils peuvent avoir les expériences des autres).

A l’hôpital, mon rôle peut être de lever les freins à la prise de traitements. J’ai eu le cas d’un jeune usager de 22 ans ayant un trouble lié à l’usage des substances, qui refusait tout traitement (symptômes de trouble bipolaire avec tachypsychie très invalidante), car il craignait de tomber dans une addiction de plus. Ayant moi-même l’expérience de la prise du médicament qui lui était prescrit, j’ai pu lui expliquer exactement les effets et les sensations. Je l’ai encouragé à voir la pharmacienne hospitalière pour qu’elle lui explique les mécanismes d’action dans le cerveau et suggéré également d’essayer un comprimé « pour voir », ce qu’il a fait. Aujourd’hui, 3 ans après, il prend toujours ce médicament, très efficace sur ses symptômes, mais refuse toujours le lithium dont l’effet n’est pas immédiat et palpable.

Est-ce que les professionnels vous sollicitent pour en parler ? Si oui, dans quelles situations ?

Je suis sollicitée par différents professionnels tels que les pharmaciens hospitaliers, les médecins et les infirmiers.
Par exemple, le Dr Emmanuelle Queuille, pharmacienne hospitalière, m’a contacté avant que je sois embauchée à l’hôpital, dans le cadre de mes fonctions de Présidente de l’association Psy’hope. Elle souhaitait connaitre les besoins des adhérents vivant dans la cité, afin d‘adapter son programme d’ETP « atelier sur les médicaments » à ces personnes. Elle s’attendait à ce que ce profil soit différent de celui des patients hospitalisés au long cours, dont elle avait l’habitude et son intuition s’est révélée bonne. Pendant plusieurs mois, une démarche de concertation a été mené et a permis d’adapter son programme aux besoins des adhérents. Un programme de 4 séances a vu le jour avec un premier groupe pilote. Ensuite, un second groupe a eu lieu.
Les séances permettaient d’aborder les thèmes suivants :
1. Généralités sur les médicaments
2. Mécanismes d’actions des psychotropes
3. Gestion des traitements au quotidien
4. Evaluation finale

Les résultats de cette collaboration entre le pharmacien, l’association d’usagers et le pair-aidant professionnel ont permis l’élaboration et l’animation d’un atelier sur les médicaments « hors les murs ». Ce programme a des résultats divers. Du côté des adhérents, il permet de favoriser un meilleur usage des médicaments, acquérir des connaissances permettant de favoriser l’observance et une meilleure alliance thérapeutique. Du côté de la pharmacienne, cela nécessite d’adapter sa méthode pour envisager un travail collaboratif pour favoriser la diversité et l’enrichissement de sa pratique professionnelle.
Avec les médecins et les infirmiers, j’ai participé à l’élaboration d’un atelier d’ETP sur la clozapine. Mon intervention dans ce programme a pour but d’aborder le concept de rétablissement en troisième séance à 6 mois de la mise en place du traitement. Ainsi, le but est que les usagers se décentrent de leur maladie pour penser à leur vie, avec un encouragement à l’empowerment.

Est-ce que vous abordez votre expérience et votre vécu en matière de traitements médicamenteux ? Si oui, comment ?

Oui, je l’aborde sous toutes mes casquettes de pair-aidante et de différentes façons :
• Sous le prisme du vécu et expérientiel, qu’il soit personnel ou partagé par des adhérents de Psy’hope ou de personnes rencontrées à l’hôpital. Il me semble primordial d’abord le principe de la balance bénéfices-risques ;
• Sous le prisme scientifique dans mon blog (www.psyhope.fr).

En effet, les personnes concernées, dont je fais partie, ont le droit d’être bien informées, pour donner un consentement éclairé aux traitements. En retour, cela permet une meilleure acceptation et observance.
Cette idée correspond à celle du patient/usager acteur de sa santé, qui a le droit à l’information, ce qui permet son consentement éclairé. Ces droits à l’information et au consentement éclairé sont inscrits dans les lois Kouchner de 2002 ayant introduit la notion de démocratie sanitaire. Aujourd’hui, le modèle de soins change et permets au patient/usager d’être partenaire des soins. Sa parole compte, de manière individuelle ou collective, même en matière de traitements médicamenteux. Cela va dans le sens d’une amélioration de la qualité des soins profitable à tous (usagers, soignants, proches, institution).

Travaillez-vous en collaboration avec d’autres professionnels ?

En ce qui concerne les médicaments, la collaboration a pu se faire avec les pharmaciens hospitaliers, infirmiers ou médecins.

Conseillez-vous de la documentation ou des ressources particulières concernant les traitements médicamenteux ?

Les fiches du réseau PIC ainsi que mon blog où je publie entre autres des articles relatant la littérature scientifique sur les médicaments, ainsi que des conseils ou points de vue (ex.big pharma). Le but est d‘informer pour une meilleure observance, acceptation du traitement. Le but est que les usagers puissent faire des choix éclairés pour leur santé, qu’ils maintiendront et qui leur seront profitables. Informer sur les mécanismes d’action et les effets indésirables permet de mieux accepter les psychotropes même si les effets indésirables sont invalidants.

Bibliographie

o Articles du blog sur le lithium
« Le point sur le lithium (Pr Hélène Verdoux) »
« Le lithium a des effets anti-suicides, même à des niveaux infimes dans l’eau potable, et bien d’autres propriétés (Revue Nature.com, 2017) »
« Le lithium nuit-il aux reins ? 6 façons de protéger les reins lors de la prescription de lithium (Psychiatrictimes, 10 octobre 2019) »
« Étude majeure sur les effets bénéfiques du lithium sur le cerveau : densité dentrique augmentée dans le cortex. Amélioration de la plasticité du cerveau et de la communication entre neurones. (CEA.FR, 10 avril 2019) »
https://www.psyhope.fr/2015/11/decouverte-de-l-salk-d-biologiques.html
o Articles sur les psychotropes (leurs bienfaits ou leur dangerosité)
« Médicaments pour les troubles bipolaires : Tout ce ce que vous devez savoir (7.02.2019 MedicalNewsToday.com, article américain) »
https://www.psyhope.fr/2019/03/la-cariprazine-pourrait-diminuer-labus.html
https://www.psyhope.fr/2020/05/ralentissement-du-vieillissement.html
https://www.psyhope.fr/2018/05/le-patch-antidepresseur-selegiline.html
https://www.psyhope.fr/2018/01/reduire-de-75-les-comportements.html
https://www.psyhope.fr/2018/03/pourquoi-les-antipsychotiques.html
https://www.psyhope.fr/2017/07/depamide-et-depakote-interdits-aux.html
https://www.psyhope.fr/2018/08/des-chercheurs-ont-trouve-la-clef-du.html

o Article sur la façon de parler des médicaments avec son psychiatre :
« La médication et vous : tirez le maximum de vos rendez-vous chez le psychiatre (Brochure en français éditée par le National Empowerment Center, Etats-Unis, Patricia Deegan) »
o Article sur Big pharma : « Est-ce que Big pharma manipule le DSM et donc la psychiatrie américaine ? Les grands dossiers des S.H n°50, mars-avril-mai 2018 »
o Article sur choix entre « Comment puis-je choisir entre les médicaments et la thérapie ? » Source : American Psychological Association, APA, juillet 2017