Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est complexe et entraîne des difficultés dans la gestion du quotidien pour de nombreux individus. La compréhension de ce trouble par les personnes concernées est cruciale pour améliorer leur qualité de vie. Une majorité importante d’adultes présentant un TDAH sont touchés par des troubles associés, ce qui rend parfois difficile le repérage et la prise en charge.
Cet entretien présente le travail de Marie-Aude Cham, docteure en psychiatrie. Dans son exercice, elle a été amenée à mettre en place des groupes de psychoéducation dédiés au TDAH. En fin d’article, vous trouverez les supports réalisés pour les groupes de psychoéducation. Nous espérons que ceux-ci pourront vous inspirer dans vos pratiques.
Votre parcours est riche, pouvez-vous nous présenter vos différentes spécialisations ?
Mon parcours a débuté au sein des hospitalisations de secteur en psychiatrie, à l’hôpital du Vinatier. En effet, j’ai été motivée par le désir d’acquérir une autonomie professionnelle, au fil du temps, cette orientation m’a conduite à me spécialiser davantage. Lorsque j’ai intégré l’équipe du service d’hospitalisation pour adolescents du CH le Vinatier, j’ai été confrontée à des situations complexes, notamment des cas de TDAH non diagnostiqués et des troubles de la régulation émotionnelle.
Suite à cette expérience, j’ai rejoint l’équipe du Centre Universitaire Romand de Médecine Légale des Hôpitaux Universitaires de Genève tout en poursuivant une formation complémentaire afin d’obtenir un Diplôme Universitaire en Sexologie (finalisé en septembre 2023). Mon travail au sein de l’unité de psychiatrie légale m’a amené à réaliser des évaluations psychiatriques pour un public constitué d’auteurs de violences sexuelles, de troubles de la personnalité, et parfois de TDAH. Malheureusement, sur le plan juridique, la prise en charge du TDAH n’est pas prioritaire pour ces individus, car cela demande une prise en charge souvent imposée (obligations de soins) et des compétences spécifiques. Pourtant, les études récentes indiquent que le TDAH est surreprésenté au sein de la population carcérale.
Je me suis ensuite orientée vers une formation en addictologie qui m’a conduite à travailler au sein de deux CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement, de Prévention en Addictologie) à Lyon. J’ai alors remarqué que certains patients luttaient pour maintenir leur abstinence, mais rechutaient régulièrement en raison d’une perte de contrôle, d’un besoin de stimulation, d’une quête de sensations et de difficultés à se poser. Ils utilisaient des substances comme une forme d’automédication afin d’atténuer leurs symptômes. Ces personnes représentaient un défi pour les prises en charge en place, jusqu’à ce qu’une évaluation révèle qu’ils souffraient d’un TDAH. Après la mise en place d’un traitement approprié (introduction de méthylphénidate), les résultats ont parfois été spectaculaires, suscitant un vif intérêt de la part de mes collègues, qui ont rapidement exprimé le souhait de bénéficier d’une formation au TDAH.
À l’hôpital neurologique de Lyon, j’ai orienté ma spécialisation vers les addictions sexuelles en raison de mes observations en consultations : de nombreuses personnes souffrant de TDAH développent ces addictions, en particulier la consommation de pornographie chez les hommes (les femmes consultent moins pour ce motif, probablement à cause de la stigmatisation). Les addictions sont un aspect central des problématiques liées au TDAH, qu’il s’agisse de dépendances aux substances, aux écrans, aux jeux vidéo, aux jeux d’argent, et bien d’autres encore. Cela semblait apparaître de manière assez récurrente chez des personnes atteintes de TDAH non diagnostiqué. Mon mémoire de DIU de Sexologie de 3ème année consacré à l’addiction sexuelle, a mis en évidence une association plus marquée entre cette addiction et le trouble de la personnalité borderline. Ces deux troubles peuvent être associés au TDAH. La prise en charge médicamenteuse peut, bien souvent, permettre un meilleur accès à la thérapie.
Pendant ma dernière année d’études, j’ai souhaité explorer le secteur privé, ce qui m’a conduite à rejoindre AddiPsy, un centre ambulatoire à Lyon spécialisé dans l’accueil de personnes confrontées à des problèmes d’addiction et de troubles psychiatriques. Les prises en charge étaient à la fois individuelles et groupales. À ce moment-là, l’augmentation de la demande d’évaluation diagnostique du TDAH et la présence d’une neuropsychologue, m’a amenée à réaliser des évaluations à l’aide des entretiens diagnostiques du TDAH.
Ensuite, j’ai choisi de faire mon dernier semestre en secteur privé au sein de la Clinique Lyon Lumière auprès de personnes souffrant de TOCs sévères. De même, les personnes hospitalisées pour des TOCs présentaient très souvent un TDAH depuis l’enfance passé inaperçu. Il m’est apparu alors que le TDAH, à nouveau, semblait être un terrain favorable à l’apparition de TOCs et entrainait souvent une symptomatologie plus sévère. Ceci est probablement « causé » par le fonctionnement particulier du cerveau « TDAH ».
Dernièrement, j’ai rédigé une thèse portant sur les problèmes de régulation émotionnelle dans le narcissisme pathologique, thèse soutenue en octobre 2023. Ces deux problématiques peuvent se retrouver chez les patients atteints de TDAH.
Depuis novembre 2023, j’ai pris un poste au sein d’un CSAPA de Lyon dans lequel je réalise des diagnostics de pathologie duelle entre addiction avec substances, ou sans, telle que l’addiction sexuelle, et TDAH et aux troubles du spectre bipolaire.
Pourquoi avoir développé des groupes pour le TDAH spécifiquement ?
En constatant à maintes reprises le manque de formation des soignants, une offre de prise en charge assez limitée, et en observant de fréquentes et nettes améliorations sous traitement, j’ai été convaincue de la nécessité de cette initiative. De plus, la demande ne cesse de croître à mesure que les professionnels se forment et prennent conscience de la forte prévalence du TDAH.
Ce sont des prises en charge extrêmement gratifiantes. Elles impliquent des profils cliniques variés, souvent complexes, qui peuvent s’accompagner d’autres troubles, notamment la bipolarité. Les patients ont un besoin crucial de recevoir un diagnostic pour mieux comprendre leur souffrance et leurs difficultés. En l’absence d’un diagnostic, ils ont souvent du mal à suivre efficacement les prises en charge ce qui peut les décourager. Parfois, il est nécessaire d’explorer de manière exhaustive l’ensemble des hypothèses diagnostiques avant d’envisager la mise en place d’un traitement médicamenteux. En outre, une mauvaise prescription de méthylphénidate ne produit pas les effets escomptés voire peut provoquer des effets secondaires gênants. Il est essentiel de s’assurer du diagnostic du TDAH par des entretiens cliniques approfondis, parfois accompagnés d’échelles en cas de doute persistant, plutôt que de risquer de passer à côté de cette pathologie par excès de précaution.
Par manque de prescripteurs en ville, il nous arrivait d’introduire le méthylphénidate lors de consultations. Par la suite, nous essayions d’orienter les patients vers des psychiatres ou médecins traitants, en maintenant un dialogue avec ses acteurs afin de les tenir informés de notre démarche de soins.
Je souhaite également aborder la question des femmes affectées par ce trouble. Dans notre société, les hommes ont souvent plus de liberté pour exprimer leur hyperactivité/impulsivité, alors que les femmes sont en règle générale plus « inhibées ». Par conséquent, le TDAH peut se manifester différemment chez elles puisque l’anxiété permet de « contrôler » l’impulsivité ce qui les amène à développer des troubles anxieux, masquant ainsi le TDAH sous-jacent. Par exemple, chez les femmes présentant une phobie sociale, le diagnostic d’autisme peut être évoqué alors qu’il s’agit d’un TDAH « inhibé ». D’ailleurs, il semble important d’ajouter que l’association entre les troubles du spectre de l’autisme et le TDAH est fréquente.
Ainsi, la valeur de la parole des patients doit être davantage prise en considération. Lorsque ces derniers ne se reconnaissent pas dans les diagnostics posés, cela nécessite généralement une réévaluation et un temps de psychoéducation afin que la prise en charge soit la plus optimale possible.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la mise en place de ces groupes et la conception des fiches dédiées ?
Le nombre de patients souffrant de TDAH augmentait progressivement au sein d’AddiPsy, c’est pourquoi j’ai décidé de mettre en place un groupe de psychoéducation.
Sur la base du groupe TDAH destinés aux patients du centre expert bipolaire animé par le Dr. Jean-Arnaud Montiel, nous avons décidé de dédier un groupe uniquement au TDAH au sein d’Addispy. En collaboration avec une infirmière, Clémentine Richard, nous avons choisi de limiter le nombre de séances à cinq car les personnes souffrant de TDAH peuvent rencontrer des difficultés à maintenir leur engagement sur une période plus longue. Les participants ont grandement apprécié cette proposition de soin. Il y avait une réelle cohésion au sein du groupe, ce qui permettait enfin aux participants d’être eux-mêmes et de faire preuve de bienveillance les uns envers les autres. Ils se sentaient enfin reconnus et compris dans leurs difficultés Ils s’exprimaient souvent très librement, se recadraient mutuellement, mais ils se comprenaient et se respectaient profondément.
Ce sont des personnes extrêmement attachantes, souvent les plus motivées en début des prises en charge, mais qui font face à d’importantes difficultés. Lorsqu’elles reçoivent le diagnostic, certaines se sentent un peu déboussolées, mais en acquérant des connaissances sur leur fonctionnement au quotidien, elles regagnent confiance et progressent parfois très rapidement dans leur parcours de soins.
Le diaporama de psychoéducation couvre un large éventail de sujets :
- l’épidémiologie,
- les symptômes,
- les fonctions cognitives,
- la neurobiologie, les comorbidités,
- les différentes approches thérapeutiques (notamment les Thérapies Cognitives et Comportementales),
- les stratégies d’adaptation (telles que l’adaptation de l’environnement, l’apprentissage de la hiérarchisation des tâches et la gestion de la procrastination).
Nous abordons également des aspects tels que la dysrégulation émotionnelle et les distorsions cognitives auxquelles ils sont confrontés, la variabilité des symptômes du TDAH tout au long de la journée (rappelons que c’est un trouble circonstanciel), les mécanismes de compensation, les répercussions sur la vie professionnelle (bore-out ou burn-out), l’évolution du trouble au fil de la vie, la médication, et bien d’autres aspects.
L’objectif de ces séances est de permettre aux participants de mieux comprendre leur trouble. Plus ils en savent sur leur condition, plus ils sont en mesure de mettre en place des stratégies efficaces et de suivre les recommandations pour améliorer leur qualité de vie.
Ces groupes, composés d’un maximum de dix participants, sont organisés de manière continue chez AddiPsy et sont ouverts à toutes les personnes concernées par le TDAH et les problèmes d’addiction.
Quelle est votre vision du rétablissement ?
L’objectif de rétablissement varie en fonction des aspirations individuelles de la personne concernée, de la vie qu’elle souhaite mener. Chez les personnes atteintes de TDAH, l’estime de soi est souvent ébranlée en raison des nombreux revers lors de leur parcours de vie. Il est essentiel de pouvoir les accompagner pour tendre vers des relations interpersonnelles plus satisfaisantes, en adéquation avec les comportements qu’ils souhaitent adopter. Leur impulsivité et leur manque d’inhibition peut provoquer fréquemment une perte de contrôle leurs comportements, ce qui peut amener du rejet, les conduit à l’isolement et à une souffrance qu’ils nous verbalisent.
Toutefois, il est crucial qu’ils préservent leur singularité, car elle fait également partie de leur force. Il faut leur redonner confiance en eux. Ces personnes peuvent véritablement exceller si les conditions sont réunies pour prendre en compte leurs particularités fonctionnelles. Il s’agit également d’acceptation, afin que leurs points forts puissent pleinement s’exprimer.
Marie-Aude Cham nous a généreusement partagé les diapositives qu’elle a réalisées pour ces groupes de psychoéducation. Retrouvez également ci-dessous les fiches d’exercices et les fiches récapitulatives des séances.
Diaporamas de la psychoéducation :
- Visionner : PowerPoint des séances 1 et 2
- Télécharger le PDF :
- Visionner : PowerPoint des séances 3, 4 et 5
- Télécharger le PDF :
Fiches de résumé des séances :
Livret de psychoéducation :
Fiches d’exercices :