Une question autour des troubles psychiques ? Micro-trottoir & dialogue

L’année dernière à l’occasion des semaines d’information sur la santé mentale, ZEST est allé promener son micro sur la place des Terreaux à Lyon ! L’occasion d’interroger les passants sur leur vision de la santé mentale. Trois questions leur ont été posées : Pour vous c’est quoi la santé mentale ? Est-ce qu’il y a une question que vous souhaiteriez poser à une personne qui vit avec des troubles psychiques ? Avez-vous un message à faire passer autour de la santé mentale ? Cette semaine, on provoque le dialogue autour de ce deuxième micro-trottoir « Y-a-t-il une question que vous souhaiteriez poser à une personne qui vit avec un trouble psychique ? »

La stigmatisation autour des troubles psychiques découle pour la plupart d’une méconnaissance de la réalité de ces troubles et d’une mise à distance des personnes qui sont dites « concernées » par ces mêmes troubles. Un des objectifs du dispositif ZEST est justement de provoquer la rencontre et le dialogue autour de ces questions. Nous sommes convaincus que c’est par le partage et la rencontre que nous pouvons impacter les idées reçues ! Dans ce micro-trottoir vous découvrirez que la majorité des questions recueillies s’intéressent à comment les personnes concernées se sentent, l’impact que peuvent avoir les troubles sur leur quotidien et leur manifestation, et le rapport de la société vis à des personnes concernées.

Nous avons donc demandé aux participants de ZEST de répondre à des questions du micro-trottoir. Découvrez leurs réponses à la suite de celui-ci. Un grand merci à eux pour leur participation !

Le micro-trottoir

Les réactions aux questions : ce qu’en disent les personnes concernées

Au niveau de la vie avec un trouble psychique au quotidien


Adrien

Si je devais décrire mon trouble psy (un trouble anxieux), je reprendrais les mots de ma psychologue : c’est comme vivre avec un fond de tristesse. Ça peut paraître un peu creux de dire ça, mais pour moi, n’importe quelle situation peut-être anxiogène. Ça ne veut pas dire que les choses vont toujours mal, bien sûr. Ça n’enlève pas les moments de joie. Être avec quelqu’un de bienveillant, ou dans un lieu connu m’aide beaucoup.
Mais ça veut aussi dire que souvent, trop souvent la tranquillité m’échappe. Je me sens fébrile. Mes pensées se bousculent, je m’agite, je remue dans tous les sens, mais sans pouvoir rien faire d’utile ou de constructif. L’idée même d’être face à un enjeu me paralyse. Et je me sens coupable d’être comme je suis, de ne pas pouvoir en faire « plus », d’être inconstant.

Alors, certains jours, être stable, « dans l’entre deux » ni déprimé, ni particulièrement joyeux, je me dis que c’est déjà pas mal.


Estelle

J’ai un trouble psychique et je suis contente qu’un diagnostic ait été posé, même si celui-ci est qualifié parfois de fourre-tout et est remis en question par certains professionnels de santé. Il est aussi beaucoup stigmatisé, enfin peut être pas plus qu’un autre. Poser un nom sur mon trouble a permis de comprendre des évènements passés et de mieux s’armer contre d’éventuelles difficultés.
Pour répondre à la 1ère question, je vais bien. Cette année a été riche en évènements en tout genre et j’ai besoin de souffler. J’ai donc décidé de prendre soin de ma santé et un temps pour me reposer, mettre de l’ordre.
Ma vie quotidienne se passe bien, principalement parce que j’ai pu parler de ce qui n’allait pas et prendre conscience de ce qui se passait. J’ai des ressources quand je rencontre des difficultés et j’essaie d’en trouver des nouvelles pour chaque autre difficulté.
Ma principale difficulté est ma mauvaise gestion de mes émotions, du stress. S’il arrive un problème quand je suis dehors, cela peut vite déraper. Si des personnes me voient mal, elles peuvent paniquer ou se protéger à tout prix, donc mal agir, par exemple en appelant les secours au lieu de simplement me parler, me rassurer. Du coup, je crains que la prise en charge se passe mal, comme c’est déjà arrivé dans le passé. Le grand public, surtout les professionnels travaillant avec un public en difficulté devraient être sensibilisés à la santé mentale, aux premiers secours en santé mentale. Ce sont des gestes simples, une écoute, un numéro de téléphone à connaître et ça les déchargerait d’une responsabilité sur ma santé.


Isatis

Quand j’ai eu la carte mobilité inclusion, ou priorité, je me suis dis que ça allait me faciliter le quotidien pour aller faire les courses ou pour prendre les transports. Le fait de pouvoir s’assoir dans les transports a des places prioritaires c’est très tabou quand on a ce droit là pour un handicap qui n’est pas physique. Ça m’est déjà arrivé d’avoir des proches qui me disent dans le bus lorsque je m’assois à une place prioritaire "pourquoi tu te mets là, c’est la place des personnes qui ont des vrais handicaps".

Les gens vont s’imaginer que c’est cool d’avoir ce droit là, que c’est un passe droit. Quand on me fait ce genre de réflexion du genre "t’as de la chance", c’est une "chance" que j’aurais jamais voulu avoir. La carte mobilité inclusion c’est déjà dur à vivre car elle est compliquée à sortir. Je connais un paquet de gens qui l’ont et qui l’ont jamais encore sorti parce que ça met plein de tabou de la société en avant sur le fait qu’il faut avoir l’air physiquement invalide pour se sentir légitime de la sortir.

Pourquoi on a besoin de ces cartes là, qu’est ce qui se passe quand on sort ces cartes là ? Quand une personne a un handicap physique, on imagine assez bien que ça peut-être fatiguant de rester debout, etc donc c’est logique de passer devant tout le monde. Quand y a une longue file d’attente, pour moi y a plein de choses qui vont se passer. Ça va être une angoisse extrêmement forte qui arrive d’un coup, de voir plein de monde et de devoir attendre, toutes les idées vont se mettre à aller très vite d’un coup. Ca va être d’un coup un envahissement sensoriel, anxiogène, je vais avoir du mal à respirer, avoir le cœur qui va se mettre à battre très vite, on va avoir l’impression que les gens sont tassés autour de nous, que d’un coup on peut plus se sortir de là, tout simplement pour une simple file d’attente.

Ça m’est déjà arrivé de laisser mes courses et partir, ou de pas aller faire mes courses. Pour moi c’est physiquement insupportable. Je me mets à claquer des dents, j’ai mes muscles qui se tétanisent, je transpire tellement qu’il va falloir que je me change parce que je suis trempée. Au moment de passer à la caisse, ça m’a pris tellement d’énergie que ça va être du bégaiement, ne plus bien arriver à savoir où on en est. Un très gros stress qui est invalidant, handicapant. Et si on a eu cette carte, c’est parce que des personnes ont estimé qu’on étaient prioritaires parce que vivre une crise d’angoisse, cette douleur là, cette incapacité, est réelle. Et c’est invalidant dans le quotidien de ne pas pouvoir faire ses courses, devoir laisser tomber ou ne pas pouvoir aller au ciné, aller dans les administrations.

Je fais plus de choses qu’avant parce que je sais que je peux sortir cette carte. Mais sortir cette carte, ça a été un apprentissage, je l’ai pas fait du jour au lendemain parce que ça vient se confronter à des regards de la société qui vont rajouter du mal-être quand on fait déjà une crise d’angoisse, ça vient demander de se sentir légitime d’être handicapé et du courage.

Dans les aménagement du quotidien, on se retrouve aussi par rapport à des incompréhensions face aux aides financières. Dans son couple, sa famille, son lieu de travail, on peut être confronté à des remarques blessantes « pourquoi je vis avec des aides alors que mon handicap se voit pas ». Qui sont ces gens là pour juger ? Moi quand on me fait ce genre de réflexion, je me dis les gens se mettent dans ma tête et savent à quel point le retentissement sur ma vie est difficile ? j’échangerais 1000 fois les aides financières que j’ai contre la possibilité de pouvoir faire tout un tas de chose que je peux pas faire. En ce moment, je ne peux pas aller travailler car j’ai des symptômes anxieux très forts, c’est hyper dur à vivre mais heureusement que j’ai des aides. Quand d’un jour à l’autre on perd son travail parce qu’on est plus capable de se concentrer, d’être avec des collègues, de se lever le lendemain. Quand je suis trop mal et que je peux pas conduire et me rendre au travail, quand je peux pas me concentrer, je me sens invalide. C’est dur de sortir de chez soi, quand on ose même pas affronter le regard de son voisin, ou parce que les voitures font trop de bruit, que la luminosité est trop forte. Quand on peut pas travailler, pas aller voir ses amis, on se sent invalide. En parler ça peut diminuer les tabous et fantasmes de tous ces propos qui font mal.
Quand on a ces périodes où on est en invalidité, il y a des jours ou ça va ou des périodes ou ça va, mais ça veut pas dire que les aides sont pas légitimes.


Léa

Au quotidien, pour la plupart d’entre nous je pense, on prend son/notre traitement, on espère ne rien avoir d’insurmontable à gérer. On ne sait pas comment va se dérouler la journée au niveau du trouble, surtout si l’on traverse des périodes de stress. Le stress est d’ailleurs un facteur déclencheur de symptômes pour la plupart des personnes concernées. Nous y sommes très vulnérables et la vie est ou peut être, selon le mode de vie, un enchaînement de situations très stressantes. En généralisant pour les personnes souffrant de pathologies psychiques, je pense que l’on peut dire que notre seuil de tolérance au stress est très bas, notre capacité de régulation est altérée, et notre vulnérabilité d’autant plus importante.


Au niveau du rapport à la société et la stigmatisation


Skah

C’est pas tant la stigmatisation des autres que j’ai dû surmonter, que celle que je me suis infligée à moi-même. J’avais du mal à assumer mes failles, à accepter d’aller vers un traitement parce que j’étais convaincue que je devrais m’en sortir par moi-même, parce que au final je pensais « si on veut, on peut ». Mais parfois, la volonté ne suffit pas. Quand j’ai réussi à accepter ça et accepter de l’aide, j’ai été plus indulgente envers moi-même. Aujourd’hui, je suis fière d’avoir réussi à accepter de l’aide et un traitement. Et je m’ouvre, je communique auprès de mon entourage pour que chacun se sente la possibilité d’aller vers le soin s’il en ressent le besoin, sans culpabilité.


Estelle

Au quotidien, je ne me sens pas stigmatisée. Beaucoup de personnes au courant le prennent bien. En réalité, je rencontre des problèmes de stigmatisation auprès des professionnels de santé, de ma famille et de conseillers à l’emploi, justement les personnes qui devraient être les moins stigmatisantes. Cela est dû à de nombreuses méconnaissances de leur part. Chez ses personnes, je vois aussi peu d’empathie, une communication fermée. Elles ne cherchent pas à comprendre. Cela a donc eu un impact sur mon rétablissement et mon retour à l’emploi. C’est dommage. Des relations et des projets gâchés. Pourtant les projets sont une porte d’entrée aux soins et montrent de l’espoir.

Nous avons tous une santé mentale. C’est important de le dire. Un mal-être ou un trouble psychique peut arriver à tout le monde. C’est important d’en prendre conscience, de pouvoir en parler et de se faire aider, de trouver des ressources pour pallier ses difficultés. Ce n’est pas une tare. Sensibiliser à la santé mentale, la lutte contre la stigmatisation des troubles psychiques permettront de faire lever le tabou et d’en parler librement.

J’ai envie de poser la question au grand public : pensez-vous avoir une santé mentale ? Comment l’évaluez-vous ? Avez-vous ou rencontrez-vous des difficultés psychologiques (ou un mal être pour être plus doux) ?


Léa

Pour éviter les situations stigmatisantes, j’ai personnellement changé d’entourage.
Je sens que je peux m’exprimer et parler sans filtres de ce que je traverse, presque uniquement avec les personnes ayant eu ou connaissant un trouble de la santé mentale. La peur d’être jugée, de passer pour quelqu’un proche de la folie, ou ce genre d’image, est restée très présente.
J’ai fait un coming-out récemment autour de ma santé mentale auprès de deux personnes à qui l’on m’avait conseillé de « mentir » sur ma situation depuis plusieurs années. J’ai enfin décidé d’exprimer ce que j’avais traversé, les difficultés, de parler des symptômes qui peuvent encore émerger, en assumant autant que possible la situation. J’ai été très émue lors de cette « séquence vérité », plus que je ne m’y attendais. Ma sensibilité est la plupart du temps exacerbée, et ce n’est pas facile d’assumer sa pathologie, sans craindre le rejet et la stigmatisation. Cette fois, la volonté de me respecter dans mon parcours a été la plus forte, et j’espère que ça se reproduira.


Skah

C’est difficile vis-à-vis de la société d’avoir un handicap invisible. J’ai une carte priorité. Je ne l’ai jamais encore montrée car mon handicap n’est pas visible.


Adrien

J’ai l’impression que la santé mentale commence à s’imposer comme sujet de réflexion et de débat à part entière, en psychiatrie comme ailleurs. Ça me donne de l’espoir pour la suite, parce qu’à mon sens, c’est le premier pas vers une visibilisation des troubles psys, même si le travail de sensibilisation à faire auprès des professionnels et du grand public reste énorme. Je suis vraiment heureux de pouvoir y participer à mon niveau.

En bonus, un exemple de stigmatisation qui m’a beaucoup marqué et que j’ai l’impression de rencontrer encore aujourd’hui : faire des troubles psys le résultat d’une faute morale, d’un manque de volonté.
« Si ta vie ne se passe pas bien, si tu te sens perdu ou déprimé c’est que tu ne fais pas ce qu’il faut pour t’en sortir ». C’est quelque chose qu’on peut tous entendre autour de nous, je crois, et qui, pour moi, ne fait que nourrir le sentiment de culpabilité.

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