[Témoignage] "Chaque petite victoire compte même si elle semble insignifiante"

S’il y a bien une chose que j’ai compris au fil de mes rencontres avec d’autres personnes souffrant de troubles de santé mentale, c’est que nous avons tous cette tendance naturelle à croire que nous sommes les "pires cas" qui puissent exister. Quand on est plongé dans un brouillard d’anxiété, on ne voit pas le bout du tunnel. Je le sais, je pensais que je resterais éternellement cloîtrée chez moi parce que je souffrais d’agoraphobie.
Mais j’avais tort, et heureusement.

Partir de loin

Non contente d’avoir à affronter quotidiennement une souffrance invisible, caractérisée par des crises d’angoisses voire de violentes attaques de panique, j’ai longtemps pensé que mon état ne pourrait jamais s’améliorer et que je finirais seule dans mon coin, mise à l’écart du monde, bien incapable de m’adapter à lui.

Il faut dire, pour ma défense, qu’à l’approche de la trentaine, je cumulais les évitements et impossibilités. Je vivais chez mes parents, je ne travaillais pas, ma vie sociale était réduite à un train-train morne qui m’assurait ce qu’il fallait pour juste « survivre ».

A travers ma fenêtre, je regardais les autres vivre leurs vies, me sentant bien incapable de franchir seule ma porte d’entrée et de me jeter dans le vaste monde et ses possibilités. Je pliais sous le poids des activités que je n’étais pas capable de faire, de la culpabilité que je ressentais à faire souffrir mes proches et l’incommensurable honte qui accompagnait le tout. Puisque je prenais la fuite au moindre bruit, j’avais l’espoir d’éviter toute situation sociale jusqu’à la fin de mes jours et m’y employait avec une certaine réussite.

Ce programme aurait pu continuer longtemps, toute thérapie me semblait impossible à entreprendre et moins encore les fameuses thérapies comportementales et cognitives.

J’avais d’énormes préjugés sur la TCC : sous prétexte d’être une thérapie dynamique, le principe même de me confronter à mes peurs me terrifiait. C’était exactement ce que je m’étais employée à éviter toutes ces années. Il fallait forcément être Wonder Woman pour se lancer dans une telle entreprise ou être masochiste ?!

Cependant ma situation empirait et mes chances de survie étaient minces. L’angoisse envahissait mes journées et je n’en pouvais de subir cette peur irraisonnée, j’allais en devenir folle : il fallait bien entreprendre quelque chose pour que la douleur cesse.

Il serait difficile de dire pourquoi (prise d’un élan de folie sans doute) j’acceptais de rencontrer un psychiatre spécialisé dans les TCC. Mon mal était incurable mais je pouvais peut-être, sur un malentendu, récupérer un conseil ou deux. Ma mère avait fait les premières démarches, elle avait sélectionné un thérapeute et il ne me restait qu’à prendre mon courage à deux mains pour téléphoner et obtenir un rendez-vous. L’attente fut longue et pleine de doutes, dans quoi est-ce que j’avais accepté de me lancer ?

Premiers pas en TCC

Face à ces longues années d’errance, ce psychiatre opposa alors une analyse minutieuse et fouillée de ma vie et de mon œuvre. Tout y passa, mon quotidien, mon emploi du temps, mes sorties. De mes peurs les plus évidentes (comme celle de prendre le métro, d’aller à un concert ou encore de voyager en avion) à celles, plus intimes encore de prendre la parole en public, de me ridiculiser et de mourir de honte.

Ma vie se trouvait scrutée, analysée de long en large et j’en ressorti encore plus déprimée par le fait de devoir cocher différentes questionnaires où la majorité du temps, j’optais pour les cases « Impossible » ou « totalement vrai ».

La grande révélation est qu’il était possible de poser un diagnostic sur ce que je vivais : je souffrais d’une agoraphobie sévère ainsi que d’une phobie sociale prononcée. Tout à coup, mes peurs et pensées n’étaient plus anormales mais correspondaient à un schéma que l’on pouvait comparer à celui d’autres personnes agoraphobes. Je n’étais pas « folle », j’étais réconfortée par le semblant de logique qui semblait enfin se dégager de mes difficultés.


Si vous ne savez pas ce qu’est exactement l’agoraphobie, disons que c’est un cocktail de peurs irraisonnées qui s’emparent de vous dans des situations où il est « potentiellement » compliqué de s’enfuir. Cela va de la file d’attente au supermarché à la salle de cinéma bondée un samedi soir où vous vous retrouvez à l’opposé de la sortie et obligé de faire se relever le rang entier si vous souhaitez partir, en passant par les vacances où il devient impossible de s’éloigner de son domicile pour un long trajet ou encore se déplacer via les transports en commun.

Les lieux clos comme une station de métro, une salle d’attente sans fenêtre ou un ascenseur sont particulièrement propices à cette peur mais cela peut aussi s’appliquer aux vastes étendues comme le champ de blé à côté de la maison de campagne ou aux endroits isolés comme le chalet de montagne, sous la neige.

Parce qu’il développe mille stratégies épuisantes pour y faire face, le sujet atteint a tendance à éviter toute situation stressante et ce faisant, renforce le cercle vicieux de l’angoisse puisqu’il est alors encore plus angoissé à l’idée de le refaire lorsque la situation se représente et ainsi de suite…

Si vous y ajoutez la phobie sociale, alors toute interaction qui vous demandera de communiquer avec un autre être humain sera potentiellement dangereuse et donc évitée au maximum.

Mon psychiatre me proposa donc de participer à une thérapie de groupe, basée sur l’affirmation de soi. Pendant plusieurs semaines, j’allais venir exposer à des inconnus mes peurs et évitements sur lesquels nous pourrions travailler via des mises en situation ou « jeux de rôle ».

Rien que les mots "groupe", "affirmation de soi", "mise en situation" ou "jeux de rôle" me donnaient envie de vomir et de prendre mes jambes à mon cou.

Le psychiatre m’exposa de nouveau ses arguments, insista sur le bien-fondé de son approche et certainement un peu sonnée par la masse d’informations, j’acceptais de me livrer à une séance, histoire de lui prouver à quel désastre, nous allions devoir faire face. On ne peut pas parler d’une adhésion pleine et entière à la thérapie…

Après cette première réunion (une torture pure et simple), j’acceptais de renouveler l’exercice. Chaque exercice me mettait au supplice mais le groupe et les psychiatres présents étant bienveillants, je continuais à essayer. Cela passait vraiment par des choses très simples comme se présenter en regardant les gens en face, accepter d’exposer une situation problème et plus terrible encore de la jouer, de travailler concrètement sur le regard des autres en faisant se retourner vers moi chaque participant. Ce dont je n’avais pas conscience, c’est que petit à petit, j’apprenais à assumer mon diagnostic.

Suite à plusieurs mois de groupes d’affirmation de soi et autant d’exercices, je ressentis une phase de découragement. J’avais appris de nouvelles astuces pour gérer mon angoisse ou faire des demandes simples par exemple mais je manquais d’occasions pour les mettre en pratique et je commençais à déprimer. La solution était d’entreprendre un travail individuel avec une psychologue soit une nouvelle personne et un nouveau lieu à appréhender. Là encore, je n’ai pas accepté dans la foulée, il a fallu toute l’argumentation et la persuasion de mon psychiatre pour me résoudre à faire un essai.

Me confronter à mes peurs

Avec cette prise en charge individuelle avec ma psychologue, j’ai eu l’impression de passer à la vitesse supérieure.

Nous avons repris ensemble l’état des lieux de mes difficultés, analyser mes comportements et émotions, ce qui est toujours un moment compliqué parce que cela demande de regarder en face tout ce qui ne va pas. Après cette analyse, ma psychologue m’a aidé à dresser la liste de situations qui posent problème et les objectifs à atteindre, du moins au plus angoissant et j’ai commencé à réaliser mes premières expositions en dehors des séances.

Concrètement, j’ai passé des heures entières à devoir attendre sur les lieux même des situations difficiles, que mon anxiété veuille bien diminuer pour que je puisse rentrer chez moi : j’ai commencé en m’asseyant à l’arrêt du bus, à les regarder passer puis en montant pour un arrêt, puis un second et ainsi de suite. J’ai renouvelé ce genre d’exercices pour chaque nouveau trajet inconnu. Il y a aussi les cafés ou les restaurants, les cinémas, les magasins, la bibliothèque, les ponts le tram et même la station de métro.

Les premières fois sont les plus compliquées, devoir gérer le regard des autres, mes pensées et émotions à l’extérieur de chez moi correspondaient à ce que je redoutais le plus : chaque petit exercice me confrontait « en pratique » à mes difficultés que j’avais pourtant essayé de cacher depuis toutes ces années. Avec le recul, c’est une période qui m’a beaucoup appris – j’ai pris plus de distance avec le regard des autres en me concentrant sur ce que je voulais vraiment.

Les phases de découragement ont été nombreuses, combien de fois me suis-je demandée ce que je faisais là et pourquoi j’acceptais de me soumettre aux expositions ! Quand vous avez peur d’une chose, vous avez tendance à l’éviter, c’est humain après tout, non ?

Mais j’ai aussi appris la persévérance. Parfois, j’ai mis des exercices en pause, c’était nécessaire pour mieux y revenir quelques semaines ou mois après. Cela m’a pris 5 ans pour arriver à montrer dans une rame de métro. Est-ce que j’aurais aimé que ce soit plus rapide et plus facile ? Assurément ! Mais cela ne l’était pas et il fallait bien faire avec alors j’ai recommencé mes expositions, cherché de nouvelles pistes à explorer avec ma psy, ma TCC est devenue du sur-mesure .

Je peux vous assurer d’une chose, c’est que la vie prend une autre saveur quand vous êtes capable d’atteindre un objectif : c’est comme si le monde se colorait autour de moi, c’est grisant !

D’une manière générale, mon regard a changé : certaines choses sont essentielles, d’autres, non. Je consolide mes fondations, je crée une nouvelle structure autour de moi, tout en gardant ce qui me tient à cœur.

Expérience associative : rencontrer d’autres anxieux

Encouragée par mon psychiatre à rencontrer d’autres personnes souffrant des mêmes troubles, j’ai fait la connaissance de l’association de patients bénévoles, Médiagora Lyon qui accueille les personnes souffrant de troubles anxieux ou phobies.

D’abord en venant aux réunions en tant qu’usagère puis adhérente, j’ai rapidement eu la possibilité d’intégrer l’équipe et de développer des ressources insoupçonnées : mon parcours s’est enrichi d’une manière que je n’aurais jamais imaginé !

Sur le tas, dans un milieu bienveillant et même si ce n’était pas au départ une démarche naturelle pour moi, j’ai pu me rendre compte que cela m’apportait aussi beaucoup. Jusqu’à maintenant, je ne parlais que très peu de mes difficultés et attaques de panique tant je craignais la réaction des autres. En acceptant mon agoraphobie et en parlant librement, j’ai réalisé que partager mon expérience pouvait m’apporter autant qu’aux autres personnes.

Depuis 5 ans, j’ai repris le poste de secrétaire de l’association, je co-anime les réunions, j’accueille les nouveaux participants et même si je rencontre toujours de l’angoisse à entreprendre de nouvelles expériences, j’avance et je progresse, malgré ou avec l’angoisse.

Un pas de plus vers la pair-aidance

Sans en savoir la définition, je pratique donc la pair-aidance depuis plusieurs années.
Cette nouvelle approche dans la thérapie d’un patient qui consiste à être accompagné, en plus des soignants par un pair étant familier des situations vécues et qui aura réussi à les dépasser pour arriver à cette notion de rétablissement : aller mieux, même si les angoisses persistent.

Au mois de janvier, j’ai entrepris la formation de personne ressource en santé mentale au centre ressource de Lyon et je viens d’apprendre mon admission au DU de pair-aidance, qui ouvre en décembre.
Petite fille, je n’ai jamais rêvé de devenir pair-aidante et pourtant, si mon parcours professionnel pouvait suivre cette voie, j’en serais la plus heureuse .

Pendant des années, j’ai pratiqué l’auto-stigmatisation, je ne voyais aucune amélioration possible, tout était blanc ou noir, le monde était partagé entre ce que je pouvais faire/ne pouvais pas faire, aucune nuance n’était permise. A l’époque, je manquais d’informations et d’identification positive via d’autres patients qui auraient pu témoigner d’un rétablissement.
Peut-être même qu’une guérison complète ne peut être envisagée pour moi et alors ? Je suis là où je place le curseur de mes attentes, il s’agit de ma vie.

Au fil des rencontres, j’ai eu la chance de connaître des personnes qui ont cru en moi, avant que j’en sois capable et qui continuent à me soutenir dans toutes les étapes de ma vie. Sans leur accompagnement et leurs encouragements, je n’aurais pas essayé un quart de ce que j’ai accompli.

Si je peux témoigner d’une chose, c’est qu’il n’y a pas de honte à douter, à avoir peur d’entreprendre une thérapie. Personne ne vous demande de croire tout de suite qu’il est possible d’aller mieux. Vous allez l’apprendre au fil du temps, l’espoir va revenir sans que vous vous en rendiez compte.

Chaque petite victoire compte même si elle semble insignifiante, même si elle peut paraître ridicule sur le moment. Si je n’avais pas accepté un jour de m’assoir à l’arrêt du bus et de les regarder passer alors jamais je n’aurais pu entreprendre tout ce que qui a suivi.
Et cela aurait été bien dommage...

Maud

Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Echoue encore. Echoue mieux. Samuel Beckett