La deuxième édition de l’école africaine de psychiatrie s’est tenue à Agadir (Maroc) du 23 au 25 octobre 2025. Elle a porté sur l’intégration de la santé mentale dans les soins primaires.
Réunissant des acteurs engagés venus de plusieurs pays d’Afrique, elle n’a pas voulu en rester au constat d’une stigmatisation, d’un manque de moyens et de la difficulté à évoquer les questions de santé mentale du fait de tabous religieux ou culturels. Elle a au contraire préféré proposer de nouveaux modèles de travail en réseau, s’appuyant sur une approche communautaire.
« Former c’est bien, mais structurer c’est mieux » comme l’a énoncé le Pr Djibo Maiga Douma de l’université Abdou Moumouni de Niamey à la fin de son intervention.
Dès 1999, le Niger s’est doté d’un guide national de formation en santé mentale. Plusieurs expérimentations en ont découlé dans tout le pays. L’une d’entre elles a consisté à proposer une formation pratique de 6 mois à tous les médecins chefs de district. En 2008, le mhGAP (Mental Health Gap Action Programme) de l’OMS a été proposé aux agents de santé non spécialistes.
Une licence en soins de santé mentale, un Master en psychologie clinique, un Master en santé mentale et soutien psychosocial en contexte humanitaire et un résidanat de psychiatrie ont successivement été créés en 2006, en 2012, en 2022 puis en 2024.
La structuration devrait se poursuivre par la création d’un référentiel national de compétences pour chaque profession et la conceptualisation d’un parcours de formation (mhGAP-licence-Master), ce qui serait favorable à la cohérence nationale.

De gauche à droite, les trois intervenants (la Pre Sylla Aida, le Pr Djibo Maiga Douma et le Pr Souleymane Coulibaly), les deux discutants (le Pr Nicolas Franck et le Pr Hassan Rahioui) et la modératrice (la Pre Imane Adaldi) de l’une des sessions sur l’intégration des soins de santé mentale dans les soins primaires et les modèles innovants.
Comment favoriser l’accès aux soins en santé mentale malgré des moyens limités ? Le Pr Souleymane Coulibaly (Bamako) a indiqué que le Mali est doté de 23 psychiatres (exerçant pour la plupart dans la capitale, au Point G ou à la Polyclinique universitaire) et 80 infirmiers spécialisés.
Selon le Dr Cheikh Mohamed Fadel (Nouakchott), coordinateur du programme national de santé mentale, neurologique et de lutte contre la toxicomanie en Mauritanie, il y a actuellement dans ce pays 5 psychiatres de la fonction publique, 2 psychiatres militaires, 2 psychiatres privés, 16 techniciens supérieurs de santé mentale (infirmiers spécifiquement formés) et 7 psychologues dont 3 exercent en santé mentale.

Le Dr Cheikh Mohamed Fadel (Nouakchott)
Il a déploré qu’il n’y ait dans ce pays ni psychomotricien, ni orthophoniste, ni psychologue scolaire, ni possibilité de faire passer des tests psychométriques. Cheikh Mohamed Fadel a proposé de lancer une « guerre de sensibilisation » sur internet afin de ne pas laisser l’espace à des personnes ayant un intérêt pécuniaire susceptible de diffuser à la population des informations peu utiles voire nuisibles. Il a insisté sur la nécessité de disposer de données fiables sur lesquelles construire les organisations (et donc sur celles de conduire des études à cet effet).
Outre les infirmiers ayant bénéficié d’une formation en santé mentale, il a été proposé de s’appuyer sur les médecins généralistes. Le Pr Rachid Aalouane (Fès) a fait état des résultats d’une enquête menée auprès de 504 médecins généralistes de la région de Fès et Meknès (la Maroc compte actuellement 10 892 médecins généralistes, 1 psychiatre pour 100 000 habitants et un infirmier spécialisé pour 64 000 habitants, le nombre de centres universitaires étant passé de 2 à 7). Les troubles mentaux représentent 17,3 % de leur charge de travail. Ils diagnostiquent et traitent principalement des dépressions et des troubles anxieux.

Le Pr Rachid Aalouane (Fès)
Les obstacles à leur implication dans ce domaine sont leur isolement (conduisant à une insécurité), le temps requis par des consultations dans le domaine de la santé mentale, une formation insuffisante et un manque de coordination avec les psychiatres. Le mhGAP devrait servir de levier au Maroc.
Le Pr Sylla Aida (Dakar) a insisté sur l’importance de la formation et a indiqué que celle-ci devait contribuer à la création d’un modèle de prise en charge intégrée adaptée aux réalités culturelles et géopolitiques, dans le cadre d’une prise en charge globale de la santé. Elle a rappelé que le suicide était la quatrième cause de décès des 15-29 ans en Afrique. Le taux de suicide est plus élevé au Sénégal (11/100 000) que dans le monde (9/100 000) et il l’est encore beaucoup plus au Lesotho (72/100 000). Le Sénégal (qui compte 40 psychiatres dont 35 exercent à Dakar) déploie un plan stratégique 2024-2028 en faveur de la santé mentale.
La Côte-d’Ivoire dispose d’un plan national de santé mentale depuis 2007.
En matière de santé mentale communautaire, le Zimbabwe a eu une initiative exemplaire en créant des friendship benches (ou bancs de l’amitié). Des personnes âgées - souvent appelées "grands-mères » - ont été formées et sont devenues des agents de santé communautaires. Elles s’assoient sur des bancs en bois dans des espaces publics, parfois à proximité de lieux de soins, pour donner des conseils et fournir un soutien basé sur la résolution de problèmes à des personnes anxieuses ou déprimées. En Mauritanie certains soins sont fournis dans des tentes, ce qui permet de respecter les traditions des nomades qui y sont pris en charge.
La sensibilisation et l’éducation à la santé des populations seront favorables à la réduction de la stigmatisation et à l’accès aux soins. Il est nécessaire de lancer des campagnes en ce sens et il a été proposé d’investir largement les réseaux sociaux en s’appuyant sur des influenceurs.

De gauche à droite la Pre Sylla Aida (Dakar), le Pr Djibo Maiga Douma (Niamey) et le Pr Souleymane Coulibaly (Bamako)