Le contexte
Plusieurs études ont su identifier les facteurs et corrélats de précarisation par la perte ou l’absence de domicile fixe chez les usagers de la psychiatrie. Cependant, il est très difficile d’identifier parmi l’ensemble de ces facteurs s’ils sont plus ou moins importants, comment ils interagissent et surtout sur quels facteurs et comment agir pour prévenir des pertes d’autonomie et des situations de grande précarité. Or, il s’agit d’une problématique de santé publique puisque le sans-abrisme concerne 4,1 millions de personnes en Europe. Plusieurs études ont par ailleurs mis en évidence la corrélation entre sans-abrisme et santé mentale, et les fortes prévalences de troubles psychiques sévères chez les personnes sans-abri.
La méthodologie
Cette étude utilise la richesse de la base de données REHABase pour analyser le parcours de 3 416 usagers de la psychiatrie et évaluer, parmi les facteurs prédictifs de sans-abrisme identifiés dans la littérature internationale, lesquels sont les plus importants pour construire des stratégies de prévention efficaces. Ceci a pu être réaliser en utilisant des outils d’apprentissage machine – aussi connus comme outils d’intelligence artificielle – basée sur la méthode des arbres de classification et régression. Cette méthode permet d’analyser finement le pouvoir prédicteur de différentes variables et comment elles interagissent entre elles. Il devient ainsi possible d’identifier les variables sur lesquelles concentrer nos efforts, et celles qui revêtent une importance plus secondaire.
Que nous dit cette étude ?
Parmi l’ensemble des facteurs identifiés, le type de traitement pharmacologique semble avoir une importance fondamentale. En effet, il a été observé que le pouvoir prédicteur des molécules prescrites était encore plus important que le diagnostic lui-même.
De façon plus spécifique, la loxapine, un antipsychotique, ainsi que les traitements hypnotiques, se retrouvaient en effet davantage dans les parcours de soins chez les personnes sans-abri que chez les personnes ayant un logement. Autrement dit, bénéficier de ces traitements augmente la probabilité d’être confronté à des problèmes de précarité au sein de la population étudiée. Autre résultat important, le fait de bénéficier d’un traitement antidépresseur et/ou thymorégulateur était inversement corrélé au fait de se déclarer sans-abri – ces molécules auraient donc un effet plutôt protecteur.
Ces résultats suggèrent ainsi que l’impact de certains traitements pharmacologiques est loin d’être négligeable et devrait être pris en compte de façon systématique.
Pourquoi cette étude est-elle importante ?
Repérer les facteurs prédictifs et protecteurs du sans-abrisme est une démarche qui s’inscrit de plein droit dans les pratiques orientées rétablissement. De fait l’accès et le maintien dans le logement constituent une condition du rétablissement des personnes présentant un trouble psychique sévère. En ce sens, le logement conditionnera le parcours des personnes vers le rétablissement et ce dernier sera compromis en contexte de sans-abrisme. De fait, les durées d’hospitalisation peuvent être majorées en l’absence de domicile ou de lieu d’hébergement, tandis que les hospitalisations longues peuvent générer une forme de dépendance, en conflit avec le pouvoir d’agir et l’autodétermination des personnes.
Dans un tel contexte, cette vigilance à l’égard des médicaments psychotropes dès lors qu’ils sont impliqués dans le risque de précarisation des personnes, doit être systématique, susciter une attention ténue de la part des professionnels et donner lieu à de la psychoéducation.
Source : Lio, G. ; Ghazzai, M. ; Haesebaert, F. ; Dubreucq, J. ; Verdoux, H. ; Quiles, C. ; Jaafari, N. ; Chéreau-Boudet, I. ; Legros-Lafarge, E. ; Guillard-Bouhet, N. ; et al.
Actionable Predictive Factors of Homelessness in a Psychiatric Population : Results from the REHABase Cohort Using a Machine Learning Approach. Int. J. Environ. Res. Public Health 2022
https://www.mdpi.com/1660-4601/19/19/12268