"J’ai décidé de parler ouvertement de ma bipolarité au nom de tous ceux qui souffrent, mais qui n’ont pas mon vécu, mes compétences professionnelles, mes capacités d’oratrice ni ma volonté pour s’exprimer.
En témoignant, j’aime à penser être le porte-parole de tous ceux et celles qui n’ont pas de voix. Voici mon histoire."
Un diagnostic bipolaire posé sans déni
"Je m’appelle Caroline, j’ai 32 ans et je suis diagnostiquée bipolaire depuis 6 ans, à la suite d’un surmenage professionnel subi lors de mon stage final dans un cabinet d’avocats parisien.
Avec l’aide de mes proches, j’ai affronté cette maladie, sans colère ni déni, et j’ai mis un point d’honneur à exercer le métier d’avocate pendant 3 ans, avant que le COVID et le confinement au printemps 2020 ne me fasse lourdement rechuter pendant près de 6 mois.
A mon retour, je suis mise à la porte par le cabinet dans lequel j’exerçais en libéral. J’ai alors quitté définitivement la robe et cet environnement de travail qui ne me convenait pas. J’ai rejoint le monde un peu plus protecteur de l’entreprise, en tant que juriste salariée au sein d’une filiale du groupe Adecco.
A ce stade, si tout mon entourage familial, amical et mes coéquipiers sportifs étaient au courant, un coming-out dans le milieu professionnel me paraissait parfaitement inconcevable.
Plus qu’un tabou, c’était une véritable omerta."
Un coming-out en entreprise réussi
"Fin 2022, j’ai rejoint l’association de pair-aidance La Maison Perchée, qui m’a fait réaliser que la bipolarité était un handicap (protégé par le statut de la RQTH). Quatre ans de bipolarité, deux hospitalisations, plusieurs psychiatres, psychologues et autres soignants, et je ne l’apprenais que maintenant !
Dans le même temps, j’ai senti les prémices d’une nouvelle crise arriver, et cela m’a fait très peur. Je ne voulais pas voir tout ce que je m’étais efforcée de reconstruire professionnellement parlant s’effondrer à nouveau comme un château de cartes.
En y réfléchissant bien, je me suis dit que si je n’expliquais pas clairement ce que cette maladie invisible générait en moi, jamais mon manager ou mes collègues ne pourraient comprendre et me manifester une certaine empathie ou s’adapter à ma situation.
Comme il devenait difficile de cacher mes symptômes hypomaniaques, et que j’estimais avoir fait mes preuves comme juriste depuis plus d’un an, j’ai pris mon courage à deux mains. J’ai été voir la Mission Handicap, puis mon manager et enfin mes collègues proches pour annoncer ma bipolarité, sans me cacher derrière le statut générique et confidentiel de RQTH.
D’abord surpris, ils ont ensuite été très volontaires sur la façon dont ils pouvaient m’aider dans les moments difficiles. En jouant la confiance et la transparence, mon manager a pu anticiper et organiser mon absence par rapport à ma charge de travail.
A mon retour, c’était un tel soulagement de ne pas devoir se justifier d’une absence de trois mois et de devoir inventer une excuse plausible, moins stigmatisée… que j’ai été voir la trentaine de personnes de mon étage pour poursuivre mon coming-out !
J’ai pu compter sur mes collègues en toute transparence, si bien que j’ai repris mon poste à plein temps comme si je revenais de vacances, presque comme si de rien n’était (y compris cognitivement)."
La déstigmatisation dans le monde étudiant et professionnel
"À partir de mars 2023, j’ai été sollicitée environ une fois par mois par La Maison Perchée pour témoigner auprès d’étudiants ou en entreprise et aider à déstigmatiser la réalité des troubles psy (INSA Lyon, Orange…). J’ai réalisé que c’est une mission que j’aime profondément faire, lever les tabous quel que soit le milieu, de manière didactique mais aussi légère et parfois drôle au vu des réactions du public.
Après quelques temps de réflexion, j’ai finalement oser témoigner directement au sein de ma propre entreprise, à la fois avec la casquette d’intervenante de l’association et celle de salariée concernée, ce qui, je pense, donne encore plus de crédit aux enjeux de santé mentale au travail.
Par la suite, j’ai continué mes actions en intervenant au sein d’une association professionnelle composée des Missions Handicap des trente plus grandes entreprises françaises, de témoigner lors du Congrès Santé Mentale France à Marseille et même devant le Ministre du Travail (en passant au JT au passage !). "
La pair-aidance dans tout ça ?
"Aujourd’hui, au-delà de la mission de pair-aidance que j’exerce à titre bénévole auprès de La Maison Perchée, j’ai aussi été sollicitée par le Groupe Adecco pour la mise en place d’un réseau de pair-aidance au sein même de l’entreprise. Ce n’est pour l’heure qu’un rôle informel, que j’ai endossé de mon plein gré et de mon initiative pour plusieurs raisons.
Mon objectif premier, c’est de lever des tabous en entreprise, et faire prendre conscience à tous mes collègues qu’il y a du handicap invisible tout autour d’eux, et que j’en fais partie. Mon deuxième objectif, en partageant mes challenges et mes difficultés du quotidien, c’est que les personnes concernées se sentent moins seules à traverser leurs souffrances. Mon troisième objectif, c’est ponctuellement d’aider une personne à faire le nécessaire pour se protéger et préserver sa santé mentale.
La pair-aidance m’a donné un ancrage, une confiance en moi puissante et le fait de pouvoir moi-même aider d’autres personnes concernées me donne aussi de la force et des ressources infinies.
Pour autant, je ne compte pas faire de la pair-aidance ou du monde du handicap ma nouvelle voie professionnelle. Je pense en réalité que mon témoignage a encore plus de poids du fait que j’exerce un métier de juriste dans des conditions « normales », un poste de cadre, en CDI, à temps plein, complexe, avec du stress et des responsabilités.
Quand je vois le chemin parcouru depuis mon diagnostic, mais aussi et surtout depuis mon coming-out psychique en milieu professionnel début 2023, j’ai hâte de voir ce que me réserve cette vie bipolaire tout simplement extra-ordinaire."
Caroline