[Revue de la littérature] Stigmatisation chez les professionnels de la santé mentale et facteurs associés

Un peu de vocabulaire pour commencer

La stigmatisation, c’est un processus qui consiste à fait de réduire une personne à un attribut discréditant selon la définition qu’en donne Erwin Goffman, sociologue, dans le cadre de ses travaux sur le stigma.

Pour répondre à cette question de la stigmatisation en France, l’équipe d’Antoinette Prouteau a produit une revue de la littérature, autrement dit un relevé et une analyse en profondeur des différentes publications sur ce thème, pour en dégager des résultats convergents et suffisamment fréquents pour être significatifs.

Cette revue de la littérature a été publiée dans le cadre de la recherche appliquées de la FIRAH « Résister au stigma dans le handicap psychique : un programme co-produit par les personnes souffrant de schizophrénie, leurs familles et les professionnels » (Laboratoire de Psychologie EA4139 de l’Université de Bordeaux.) C’est donc une démarche de recherche action participative avec des personnes concernées.

Plus particulièrement, c’est le processus de stigmatisation chez les professionnels de la santé mentale qui a été étudié dans cette revue de la littérature.

Ce travail vient rappeler en effet que les professionnels de la santé mentale sont l’un des principaux vecteurs de stigmatisation des troubles de la schizophrénie. C’est du moins ce que rapportent les usagers et leurs familles quand on les interroge sur les occasions lors desquelles ils ont ressenti de la stigmatisation.

Comment opère la stigmatisation chez les professionnels de la santé mentale ?

Pour aller plus loin et nuancer, plusieurs constats se dégagent de ce travail. Si on les compare avec la population générale, les professionnels de la santé mentale présentent moins de croyances stigmatisantes comme la dangerosité des personnes vivant avec la schizophrénie. Néanmoins, le « pessimisme » des professionnels quant au pronostic de la maladie ainsi que le désir de « distance sociale » autrement dit le fait de croire qu’il y a un « eux et nous » sont similaires chez les professionnels de la santé mentale et au sein de la population générale.

Quels sont les facteurs influençant le niveau de stigmatisation chez les professionnels de santé mentale ?

Le niveau de stigmatisation apparaît comme influencé par les croyances théoriques des professionnels. Ainsi, il y a ceux qui s’appuieront sur une vision exclusivement « biologique » de la schizophrénie. Celle-ci consiste à voir le trouble comme la conséquence d’un désordre génétique et/ou neurobiologique, oubliant de considérer au premier chef la personne qui présente ses troubles. D’où un regard limitant qui enferme dans une catégorie (catégorie sociale « schizophrène »). Ces derniers auront plus tendance à la stigmatisation ( « il y a eux et nous ») que les professionnels qui s’appuient sur une vision selon laquelle il existe une gradation entre le pathologique et le normal et vice versa. Ceux-ci identifieront davantage les similitudes entre les personnes présentant un trouble de la santé mentale et celles qui n’en présentent pas (encore).

Ainsi, à l’inverse, plus un professionnel perçoit de similitudes entre lui et les personnes qui présentent un trouble de la schizophrénie et moins il sera stigmatisant . Ce constat est similaire à ce qu’on peut retrouver dans la population générale. Il souligne l’impact des actions de lutte contre la stigmatisation comme permettant de créer plus de « ponts » et de perception des similitudes entre les personnes vivant avec des troubles psychiques et la population générale ou les professionnels.

Des caractéristiques professionnelles et liées aux contextes sociaux et culturels des professionnels ont également un impact sur niveau de stigmatisation. En effet, il existe des facteurs que l’on peut définir comme « protecteurs ». Ainsi plus le sentiment d’accomplissement professionnel sera vif chez les professionnels de la santé mentale, plus les pratiques orientées rétablissement seront lisibles et présentes dans les services, plus le contact avec les personnes concernées se fera en ambulatoire, dans les milieux de vie, au cours du rétablissement des personnes, plutôt que dans des services intra-hospitaliers de prise en charge aigüe, plus le risque de stigmatisation sera faible.

Enfin, cette étude est l’une des premières en France à aborder de front cette thématique de la stigmatisation chez les professionnels de santé mentale en France, C’est dire l’enjeu crucial qu’il y a à communiquer davantage sur cette thématique dans notre pays, à développer les pratiques orientées rétablissement en vue d’une véritable transformation sociale, à tous les niveaux.

Source : Stigmatisation chez les professionnels de la santé mentale et facteurs associés,
Revue de littérature, FIRAH, Pr. Antoinette Prouteau et Kévin-Marc Valery
Découvrir l’étude sur le site de la FIRAH