Retour d’expérience : travailler en tant que pair-aidant dans le centre où l’on a été accompagné, passer d’usager à collègue

A l’occasion de la journée du réseau de réhabilitation psychosociale en mai 2024, un atelier de retour d’expérience était animé par Vinciane Aubert, pair-aidante, et Audrey Provasi, infirmière/case manager au C3R de Grenoble. Celui-ci portait sur "travailler en tant que pair-aidant dans le centre de réhabilitation qu’on a fréquenté comme usager". Dans cet article, les deux intervenantes vous partagent les réflexions, les freins et éléments facilitateurs qu’elles ont pu expérimenter dans ce cadre.

Devenir collègues après avoir fait un parcours de rétablissement dans le service pose de nombreuses questions et doit être préparé en équipe comme toute arrivée d’un pair-aidant mais avec un regard spécifique.

Au sein de notre société il n’est pas toujours admis de travailler dans le service où l’on a été suivi, cela pose des questions éthiques ainsi qu’au niveau du secret médical.

Dans un centre de réhabilitation, l’accompagnement est basé sur une vision horizontale entre soignants et soignés, et non sur une vision verticale, cette posture des professionnels facilite l’intégration d’un pair-aidant, d’autant plus s’il a réalisé son parcours dans la structure.

Notre expérience nous a permis de repérer les freins et les éléments facilitateurs et d’apporter des outils concrets pour accueillir au mieux le ou la future collègue au sein de l’équipe et qu’il ou elle puisse trouver sa place

Les freins

Faisons un état des lieux : il existe plusieurs freins qu’il est important de connaître et qui sont ressortis dans notre partage d’expérience :

  • Il y a un certain déséquilibre entre le futur pair-aidant et ses futurs collègues de travail car ils connaissent des choses intimes de lui alors qu’il ne connaît rien d’eux.
  • Concernant le secret professionnel, il est important de savoir que le dossier personnel du pair-aidant est consultable, avoir confiance en ses collègues est donc primordial.
  • Il faut être prêt à renoncer à une prise en charge dans le service en cas de nouvelles difficultés
  • Il y a un questionnement autour des confidences personnelles entre collègues. Elles sont d’avantage réfléchies car il peut y avoir une crainte de se remettre dans la place d’usager.
  • Ne pas s’autoriser à « flancher », ne pas aller mal et ne pas s’autoriser à se mettre en arrêt maladie trop tôt de peur que l’on considère que le pair-aidant reste trop fragile.

Les éléments facilitateurs

Cependant, il y a des éléments facilitateurs à avoir été suivie dans le service où l’on travaille :

  • Cela permet de faire « de la pair-aidance dans la pair-aidance », c’est-à-dire que le pair-aidant accompagne les personnes sur la gestion de leur trouble mais également sur le parcours de rétablissement au sein de la structure. Cela permet de renforcer la notion d’espoir, primordiale pour les personnes.
  • Il y a une confiance déjà présente auprès des collègues et de l’institution.

Des pistes concrètes

Suite à ces constats, voici quelques pistes concrètes afin de faciliter l’intégration d’un pair-aidant dans le service :

  • Il est important de prendre le temps d’échanger avec le case manager (la personne qui a été le référent principal pendant son accompagnement dans le service) avant la prise de poste afin d’éviter les gênes et malaises qui peuvent être présents.
  • Il est possible d’envisager une rencontre, avant l’arrivée du pair-aidant, avec le responsable de la structure et le case manager. Mais également après la prise de poste.
    C’est également ce qui est préconisé pour l’accueil d’un pair-aidant qui n’a pas été suivi dans le service :
    « …il est important de proposer des temps d’échanges réguliers avec les référents, ces temps peuvent lui permettre de faire part de ses ressentis, positifs et négatifs, de ses besoins… » [1]
    « …il est recommandé de proposer un suivi de l’intégration du travailleur pair et d’offrir du soutien aux équipes avec des supervisions » [2]
  • Lorsqu’il y a déjà des pair-aidants en poste, il peut être sécurisant de mettre en place des réunions régulières et de programmer, avant l’arrivée du collègue, des RDV d’observation en binôme.
    « …le travailleur pair peut se sentir isolé dans l’exercice de ses missions. Le travail en binôme avec un autre travailleur pair est conseillé pour favoriser l’échange de pratiques. » [1]
  • Si la personne en ressent le besoin, il peut lui être nécessaire d’organiser des séances de supervision.
    « …la supervision permet un soutien qui pourrait être une solution quant aux appréhensions vis-à-vis de la vulnérabilité psychique » [2]
  • Cela peut paraître anodin, mais le choix du bureau peut être important. Partager le bureau avec des personnes qui nous ont accompagné peut être déstabilisant et il est judicieux de proposer un bureau avec des personnes qui n’ont pas été les référents du pair-aidant.
  • Il est important que le pair-aidant soit au clair avec ses missions et de les rappeler à l’équipe afin de faciliter la prise de poste.

Des points de vigilance

Enfin, plusieurs points de vigilance sont ressortis de ce partage d’expérience :

  • L’encadrement du service doit rester vigilant à adapter la fréquence et le rythme de l’accompagnement du pair-aidant en fonction de ses besoins.
    En effet, mettre en place de façon systématique trop d’accompagnements pour le pair-aidant pourrait entraîner un sentiment de stigmatisation.
  • Soutenir la formation, par un diplôme universitaire ou une licence.
  • Etre très attentif à ne jamais remettre la personne dans sa position d’usager.
  • Préparer une pochette « arrivant » avec toutes les informations concernant le service et la structure plus largement.

Cette expérience riche témoigne qu’il est possible de passer de personne accompagné à professionnelle au sein de la même équipe pluridisciplinaire. Même si ce n’est pas anodin, une bonne préparation permet une bonne intégration dans l’équipe et les éléments facilitateurs prédomines largement sur les freins repérés. Cette intégration réussie permet de concourir à faire évoluer les représentations et dépasser les réticences.

Rédigé par Vinciane Aubert, pair-aidante
Relecture Audrey Provasi, infirmière, Benjamin Gouache, psychiatre responsable de service, et Cécile Latour, cadre de santé

[1] Comment intégrer un travailleur pair dans une équipe de santé mentale ? Petit guide pratique à destination des équipes qui souhaitent se lancer ! Réhabilitation psychosociale et remédiation cognitive, 2020.

[2] Daffort M., Pulcini M. Evaluation des connaissances et représentations actuelles sur la pair aidance chez les professionnels intervenant en psychiatrie au CHU de Saint Etienne. L’informatique psychiatrique [en ligne]. 2021, volume 97, pp. 581-587. Disponible sur le site Cairn