Portrait de Marine Dubreucq, sage-femme Centre Référent de Réhabilitation psychosociale et de Remédiation cognitive (C3R) du CH Alpes Isère

Marine DUBREUCQ, sage-femme au Centre Référent de Réhabilitation psychosociale et de Remédiation cognitive (C3R) du CH Alpes Isère évoque avec nous ses travaux de recherche sur la parentalité.

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? (votre métier mais aussi ce qui vous a amené à associer activité clinique et recherche)

Je suis sage-femme aux Centres Experts FondaMental Schizophrénie et Asperger Adultes et au Centre Référent de Réhabilitation psychosociale et de Remédiation cognitive (C3R) du CH Alpes Isère.

J’accompagne les femmes avec troubles psychiques sévères (schizophrénie, troubles bipolaires, de personnalité borderline) ou avec troubles du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle (TSA-SDI) dans une démarche orientée rétablissement de soutien à la parentalité.

Je m’intéresse depuis longtemps à cette question. Mon mémoire de fin d’études portait sur le ressenti des sages-femmes dans la prise en charge en suites de couches des patientes avec un trouble psychique. Celles-ci rapportaient se sentir isolées ou en insécurité, sentiment diminué par une meilleure connaissance des troubles psychiques et lorsque la prise en charge avait pu être anticipée et coordonnée entre les équipes psychiatriques et obstétricales.

Mon travail au C3R comporte un volet clinique (évaluation, modèle stress-vulnérabilités-compétences adapté à la parentalité, plan d’action partagé pendant la grossesse, entretiens d’éducation thérapeutique questionnant la centralité du désir d’enfant, les freins, craintes et ressources de la personne, éducation thérapeutique en groupe). Il comporte aussi un volet sensibilisation / formation auprès des acteurs de la périnatalité et une partie recherche. Celle-ci comprend le développement et l’évaluation d’interventions de réhabilitation psychosociale (plan d’action partagé, groupe séduction, vie de couple, parentalité) mais aussi des études à partir de REHABase pour mieux caractériser cette population et ses besoins, encore largement inconnus.

Votre étude porte sur le fait d’être parents quand on souffre d’un handicap psychique, pourquoi ce thème ?

Je questionne systématiquement le désir d’enfant chez les femmes lors de mes consultations. La réponse est très souvent oui, mais beaucoup ne sont pas mères et peuvent appréhender de le devenir. L’objectif de cette étude était de déterminer le pourcentage de parents dans REHABase et d’identifier leurs caractéristiques et besoins, afin de les accompagner au mieux.

Quels sont pour vous les déterminants susceptibles de favoriser le souhait d’être parent pour ces personnes ?

Devenir parent est un rôle social central pour beaucoup de personnes avec troubles psychiques et peut contribuer activement au rétablissement. Cela a pu être mis en évidence dans plusieurs études qualitatives, au C3R comme à l’international. Cependant seule une minorité de personnes avec troubles psychiques sévères ou TSA deviennent parents : une personne sur cinq (18.4% sur 1764 participants) dans REHABase, soit 3 à 6 fois moins que la population générale et beaucoup moins que dans d’autres pays, comme la Norvège, l’Australie ou encore les Etats-Unis.

La décision de devenir ou non parent est multifactorielle. Comme tous, la présence d’un conjoint et d’un réseau social soutenant, les facteurs économiques et personnels (avoir un emploi, son propre logement, être indépendant financièrement), mais aussi familiaux, culturels ou religieux, l’"horloge biologique" sont importants. Les craintes concernant l’hérédité des troubles, leurs conséquences possibles sur les enfants et leur développement et sur les effets des traitements pendant la grossesse jouent aussi dans la décision. Cette décision est influencée par la stigmatisation, environ ¼ des personnes rapportant avoir été discriminées dans leur projet de devenir parent par leur entourage ou des professionnels de santé. La peur d’être un "mauvais parent" ou d’être jugé comme tel et de perdre la garde de l’enfant sont des freins importants. Les parents ayant un trouble psychique ne s’occupent pourtant pas moins bien de leurs enfants que les autres, malgré un risque augmenté de contact avec les services sociaux.

Comment envisagez-vous l’usage de cette étude dans les pratiques de réhabilitation psychosociale (sanitaire et médicosociale) ?

Notre étude a plusieurs implications potentielles pour la pratique clinique :

  • les soins de réhabilitation psychosociale peuvent indirectement faciliter l’accès à la parentalité, via l’amélioration du fonctionnement cognitif et général (logement autonome, vie en couple, emploi ordinaire) ;
  • questionner le désir d’enfant systématiquement est indispensable car cela peut contribuer au rétablissement et cela permet de proposer un accompagnement spécifique dès l’anténatal
  • l’éducation thérapeutique en anténatal facilite la prise de décision sur le fait de devenir ou non parent et de prendre un traitement ou pas pendant la grossesse. Combinée à la réalisation d’un plan d’action partagé, elle permet de réduire les facteurs de stress et le risque de rupture dans la continuité des soins. L’éducation thérapeutique et le soutien à la parentalité orienté rétablissement ont pour objectif de prévenir les complications obstétricales et/ou psychiatriques et leurs conséquences potentielles sur les parents comme sur le développement de l’enfant (prévention primaire des troubles psychiques). La mise en place de soins spécifiques comme un groupe de thérapie cognitive et comportementale et d’entrainement aux habiletés sociales sur les thèmes "séduction, vie de couple, sexualité et parentalité", en développement au C3R) peut renforcer le pouvoir d’agir et faciliter l’accès à la parentalité. Il existe aussi un groupe au CL3R
  • être parent est associé à plus d’antécédents de passage à l’acte suicidaire (x 1.56, avec un risque x 1.74 chez les mères) mais aussi à une estime de soi préservée. Le soutien à la parentalité pour faciliter le lien parents-enfants et prévenir la perte de la garde est donc essentiel
  • la pair-aidance peut contribuer au soutien à la parentalité
  • les interventions auprès des proches (conjoints-grands parents) sont essentielles pour renforcer le soutien social et la satisfaction dans les relations familiales et sentimentales. Il existe au C3R des groupes courts d’éducation thérapeutique usagers-conjoints (3x3h) et grands parents (1x 3h) en partenariat avec l’UNAFAM
  • la réalisation d’actions de formation / sensibilisation auprès des professionnels de la périnatalité et des services sociaux est aussi essentiel pour réduire la stigmatisation, faciliter la coordination entre les différents services et améliorer l’accompagnement de ces personnes.