L’impact des directives anticipées en psychiatrie

L’impact des directives anticipées en psychiatrie est d’autant plus important si elles sont rédigées avec le soutien d’un pair-aidant. C’est ce que suggère une étude dont les résultats viennent d’être publiés dans le JAMA Psychiatry. Focus sur l’article d’Aurélie Tinland et collaborateurs.

Le contexte de l’étude

La réduction du recours à la contrainte en psychiatrie est un enjeu crucial, tant du point de vue des droits de l’homme que de la santé publique. Les directives anticipées en psychiatrie (DAP) sont reconnues aujourd’hui comme un outil prometteur dans la réduction des hospitalisations sous contrainte en psychiatrie. Les effets de l’accompagnement à leur rédaction par des professionnels de santé ont déjà fait l’objet de publications scientifiques. Quel serait l’impact d’un accompagnement par un pair-aidant professionnel ? C’est l’objet de cette étude qui s’est donnée pour objectif de documenter la contribution spécifique de la médiation d’un pair-aidant professionnel dans l’efficacité des directives anticipées en psychiatrie.

Les directives anticipées en psychiatrie, de quoi parle-t-on ?

Les directives anticipées en psychiatrie se présentent comme un document rempli par la personne concernée par un trouble psychiatrique, à un moment où elle est en capacité de prendre des décisions. Ces directives prévoient par avance un certain nombre de consignes à suivre pour l’entourage et pour les professionnels de santé, afin d’anticiper le fait que la personne qui les rédige puisse ne plus être en mesure de décider à un moment de son parcours de vie et qu’une hospitalisation en psychiatrie ait à être envisagée dans ce contexte. Dans cette étude, le document incluait les préférences en termes de structures d’accompagnement, de traitements, les signes avant-coureurs d’une crise, les stratégies de la personne pour prendre soin de sa santé mentale…

Comment s’est déroulée l’étude ?

Les participants ont été répartis en deux groupes :

  • Un groupe dit « contrôle » qui a bénéficié quant à lui d’une intervention habituelle : les participants ont reçu une information relative aux DAP et étaient libres de les remplir mais sans la médiation d’un pair-aidant.
  • Le groupe d’intervention dans lequel les participants pouvaient selon leur préférence :
    - rencontrer un pair-aidant dans le lieu de leur choix
    - être accompagné à la rédaction de leurs directives par ce pair-aidant en autant de rencontres que nécessaire. Le pair-aidant ayant aussi la mission à ce moment-là d’introduire le participant à la perspective du partage des directives, en l’y encourageant
    - être accompagné par le pair-aidant au moment du partage des directives avec les professionnels de santé et le psychiatre assurant le suivi.

Les directives ont été renseignées sur un document papier. Elles ont été stockées par un professionnel de santé ou un psychiatre selon les choix du participant, voire numérisées sur le logiciel interne de l’établissement auquel le participant était affilié, lorsque cette option était disponible.

Ensuite, le nombre d’hospitalisations sous contrainte sur chaque site de l’étude a été quantifié pour les deux groupes, puis comparé. L’évolution du pouvoir d’agir, le niveau de sévérité des symptômes, la qualité de vie et l’alliance thérapeutique ont été également mesurés, avant et après la rédaction des DAP.

Qui étaient les participants de l’étude ?

Au total, 394 personnes ont participé à l’étude, hommes et femmes (39,3 %), d’une moyenne d’âge de 39 ans. Ils avaient connu au moins une hospitalisation sous contrainte dans l’année écoulée. Ils présentaient soit un diagnostic de schizophrénie (45 %), de trouble bipolaire (36 %), ou de trouble schizo-affectif (19 %) selon les critères du DSM-5, le manuel international de classement des troubles psychiques.

Quels sont les résultats obtenus ?

Ce que montre cette étude est majeur : les personnes du groupe d’intervention autrement dit ayant eu la possibilité de bénéficier des DAP et d’un pair-aidant présentaient significativement moins de ré-hospitalisations à un an que les participants du groupe contrôle (27 % contre 39,9 %).
Plus encore, cette médiation par un pair-aidant a eu un effet positif sur la sévérité des symptômes perçus, l’expression du pouvoir d’agir des participants, leur capacité d’autodétermination et de décision.

Pourquoi cette étude est-elle (très) importante ?

C’est la première fois que l’impact de la médiation de la pair-aidance est évaluée de façon systématique dans le cadre de la rédaction des directives anticipées en psychiatrie.

On savait déjà, d’après plusieurs études internationales, que la rédaction de directives anticipées en psychiatrie constitue un facteur protecteur pour les personnes exposées à un risque de crise psychiatrique. Désormais, on sait que ce rôle protecteur est maximisé par la médiation de la pair-aidance et qu’il permet une réduction du risque d’hospitalisation sous contrainte.

La prochaine étape sera la généralisation de ces résultats à l’échelle nationale, pour que les usagers de la psychiatrie deviennent des acteurs de leur parcours de soin avec et grâce à l’appui de pair-aidants.

Le point de vue Lee ANTOINE, coauteur de l’étude, pair-aidant et responsable du déploiement de la formation des pair-aidants pour le soutien à la rédaction des directives anticipées en psychiatrie.

« J’ai accompagné durant l’étude 2019-2021 en tant que pair-aidant des personnes à la rédaction de leurs directives anticipées en psychiatrie. Alors bien sûr, j’aurais aimé que les personnes du groupe contrôle ne se retrouvent pas autant en hospitalisation sans consentement. Mais je suis content de voir que l’accompagnement que j’ai effectué en lien avec ce document ait pu permettre à des personnes d’éviter des hospitalisations sans consentement. L’idée avec les DAP c’est que les personnes elles-mêmes puissent mieux comprendre ce qui se passe pour elles, qu’elles puissent avoir plus de pouvoir sur leur soin, et se permettre d’avancer dans leur schéma de rétablissement.

Les hospitalisations sans consentement particulièrement, sont toujours très traumatisantes. Voir que l’accompagnement à la rédaction des DAIP les réduit, est vraiment un résultat fort.

Ce qui est intéressant aussi, c’est que finalement, même si je n’ai pas de diagnostic de bipolarité, de schizophrénie ou de trouble schizo-affectif, l’accompagnement par une personne qui a un parcours de soin, une expérience de soin similaire fonctionne aussi.

Il y a un échange autour des stratégies, des difficultés, et le fait de se reconnaitre entres personnes concernées ça fonctionne. Et ça fonctionne aussi si on n’a pas le même diagnostic.

On voit que c’est vraiment bénéfique pour les personnes que l’accompagnement aux DAP soit fait par des pair-aidants. C’est quelque chose qu’on pressentait même avant que les résultats paraissent. C’est d’ailleurs pour ça que l’on s’est lancé dans une implémentation des DAP dans d’autres territoires français, une implémentation qui soit portée par des pair-aidants en santé mentale. Cela nous semblait important qu’il puisse y avoir davantage de pair-aidants qui puissent utiliser cet outil dans leur accompagnement car cela fonctionne.

Depuis début 2021, le financement de la Fondation de France nous permet d’accompagner la formation des pair-aidants pour qu’ils puissent se sentir à l’aise dans l’accompagnement à la rédaction des DAP. Cela devrait permettre à cet outil de se déployer plus largement, et ainsi de renforcer le pouvoir des personnes dans le soin et la réduction des hospitalisations sans consentement.

Pour moi, l’idée de m’impliquer dans un tel projet, c’était vraiment que les soins puissent mieux se passer pour les personnes que j’accompagne, que cela s’est passé pour moi, et je suis content de voir que les DAP vont dans ce sens. L’objectif maintenant est qu’il y ait de plus en plus de personnes formées et que les équipes puissent se saisir de l’utilité de cet outil ».

Consulter la publication en intégralité (en anglais) :
Aurélie Tinland, Sandrine Loubière, Fréderic Mougeot, Emmanuelle Jouet, Magali Pontier, Karine Baumstarck, Anderson Loundou, Nicolas Franck, Christophe Lançon, Pascal Auquier, DAiP group. Effect of Psychiatric Advance Directives Facilitated by Peer Workers on Compulsory Admission Among People With Mental Illness : A Randomized Clinical Trial. JAMA Psychiatry. Published online June 06, 2022. doi:10.1001/jamapsychiatry.2022.1627


Illustration réalisée par Lee ANTOINE