[Retour sur] Osons rêver au Congrès Français de Psychiatrie

Le Centre ressource de réhabilitation psychosociale (CRR) était présent au congrès français de psychiatrie qui s’est tenu à Lyon du 29 novembre au 2 décembre 2023.

Un temps fort pour imaginer, découvrir et discuter des enjeux de la psychiatrie de demain. La thématique cette année : Oser rêver, de quoi imaginer des perspectives d’avenir positives pour la psychiatrie. Retour sur les animations proposées par le CRR et sur quelques interventions et temps forts qui ont marqué ce congrès !

Oser rêver : une thématique prometteuse

« Cette année nous avions décidé de nous laisser la possibilité de rêver. Pourquoi ne pas rêver que chaque Français se préoccupe de sa santé mentale et de celle de ses concitoyens ? Pourquoi ne pas rêver que nos professions et nos dispositifs deviennent lisibles pour eux ?
Pourquoi ne pas rêver qu’ainsi chaque Français qui souhaite accéder à des soins en santé mentale y parvienne aisément, en mettant à leur disposition sur chaque territoire une structure publique capable de les recevoir rapidement et de les orienter selon leurs besoins ? Pourquoi ne pas rêver que la psychiatrie soit choisie en priorité à l’examen classant national ? Pourquoi ne pas rêver que tous les postes médicaux et paramédicaux soient pourvus dans nos services et qu’ils puissent ainsi déployer pleinement leur offre de soins ? Pourquoi ne pas rêver que la société réserve le meilleur accueil à ceux que nous soignons et accompagnons ?
Vous étiez à Lyon pour participer à un congrès plein de promesses d’avenir.
Il ne faut en effet pas nous contenter d’espérer : unissons-nous pour aller de l’avant dans la définition et la réalisation des projets dont notre discipline a besoin. »
Edito de Nicolas Franck, Président du Comité Local d’Organisation du Congrès Français de Psychiatrie 2023

Sur le stand du CRR : échanger sur la réhabilitation et tester ses connaissances pop culture

Sur notre stand, nous avons pu accueillir de nombreux participants du congrès, professionnels.les des secteurs sanitaire et médico-social, pour mettre en avant la réhabilitation psychosociale, parler de nos missions, nos valeurs et nos projets en cours, comme le dispositif ZEST « Zone d’expression contre la stigmatisation » en santé mentale, l’appui aux structures de santé mentale dans la transformation de leurs pratiques ou encore nos cycles de conférences et journées thématiques.
Ainsi vous avez été nombreuses et nombreux à répondre à notre « Quiz Pop Culture en santé mentale », un bon moyen pour prendre conscience des représentations associées aux troubles psychiques, véhiculées dans les médias.

Des conférences autour de la réhabilitation et du rétablissement

Les professionnels des structures de réhabilitation psychosociale sont intervenus dans de nombreuses conférences et ateliers tout au long du congrès. Nous vous proposons un résumé des points qui nous ont semblé importants à partager lors de quelques interventions auxquelles nous avons eu la chance d’assister !

Favoriser le changement des pratiques en psychiatrie

Présidée par Nicolas Franck, l’objectif de cette session était de se projeter dans l’avenir en imaginant comment aller plus loin pour changer les pratiques en psychiatrie, selon trois axes : en motivant, en formant et en inspirant les professionnels.

Nicolas Rainteau, psychiatre au centre de réhabilitation de Montpellier, a montré comment motiver les professionnels à adopter la réhabilitation psychosociale et à changer les pratiques en psychiatrie. Il est revenu sur trois manières d’être indispensables à adopter en tant que professionnels de la santé mentale :

  • Changer la façon de proposer du soin en partant du projet de la personne et non des soins. Il ne faut jamais fermer la porte aux projets des personnes.
  • Transformer nos pensées limitantes en pensées militantes. En tant que professionnels, nous pouvons avoir plusieurs pensées automatiques qui viennent fermer la porte aux projets des usagers (c’est trop tôt pour tel projet, etc.). Adopter des pensées alternatives pour ne pas fermer la porte aux projets est essentiel (pourquoi ne pas essayer).
  • Veiller à ne pas accommoder et viser le sur mesure.

David Masson, psychiatre au centre de réhabilitation psychosociale de Nancy, est intervenu sur la formation des professionnels. Il a rappelé les 10 principes d’une pratique orientée vers le rétablissement et invité les professionnels à se demander après chaque interaction s’ils ont bien pris en compte ces principes.

Il a pu présenter l’apport de la formation pour les professionnels de santé. Il a montré notamment l’impact potentiel des formations en ligne pour former massivement les professionnels. Parmi celles-ci, le MOOC proposé par le CRR est une piste intéressante. Il est revenu également sur les diplômes universitaires existants ainsi que les formations proposées par les centres supports, et notamment la formation psychose et rétablissement proposée par Cure. En complément, il est revenu sur comment les réseaux sociaux peuvent être un moyen de se former et de renforcer l’empowerment des usagers.

Camille Niard est médiatrice de santé-paire au centre hospitalier le Vinatier à Lyon. Son intervention a porté sur les différentes façons d’inspirer les professionnels, elle a partagé son expérience de la pair-aidance ainsi que son expérience de l’hospitalisation. Elle a pu présenter des situations pratiques et a parlé notamment de la possibilité de faire du hors-piste (échanger au café du coin par exemple). Elle a présenté les deux pieds de la psychiatrie, celui de l’expert par l’expérience et celui de l’expert par formation, qui permettent à chacun d’avancer. Elle a présenté plus spécifiquement le programme EDEN, qui est un espace pour l’écoute et le dialogue avec les Entendeurs de Voix.

La psychiatrie rêvée par les personnes concernées

Cette session, co-présidée par Nicolas Franck et Camille Niard a été imaginée comme une classe inversée, où les psychiatres se sont positionnés en position d’apprenants et les pair-aidants et personnes bénéficiants d’un savoir expérientiel en position de sachants.

Philippa Motte, paire-aidante et formatrice a proposé une introduction sur la pensée de Patricia Deegan, une des figures de proue du rétablissement. Elle vie avec la schizophrénie et est docteure en psychologie. Elle a partagé les principaux thèmes qui guident la pensée de Patricia Deegan.

Dans cette vidéo, vous pouvez retrouver une présentation traduite en français de Patricia Deegan

Pour en savoir plus sur Patricia Deegan, nous vous invitons également à lire cet article où elle discute du diagnostic, de son impact sur l’identité et du processus de rétablissement.

Barbara Savlé a focalisé son intervention sur l’importance de l’alliance dans le soin. L’instauration d’un climat de confiance réciproque est essentiel pour que la personne puisse s’autoriser à être elle-même. Cela nécessite notamment que la personne puisse s’exprimer librement sans avoir peur de la sanction (camisole chimique, isolement, contention). Elle a rappelé quelques principes à l’instauration de ce climat, que l’équipe puisse écouter sans jugement, le dialogue, la nécessité d’aller au delà du diagnostic, l’information sur les traitements et les effets indésirables, et placer la personne au centre du soin.

Judith Clément Verhaghe, médiatrice de santé-paire et formatrice, Yves Bancelin, médiateur pro et direteur d’Esper Pro et Stéphanie Lagasse, paire-aidante et chargée de projets au C3R de Grenoble sont intervenus à la suite de Barbara Savlé. Ils ont proposé une intervention interactive à travers l’histoire d’une personne concernée. Ils ont rappelé à travers cette intervention le rôle délétère que peut jouer une hospitalisation traumatique, comment celle-ci peut être améliorée, l’importance de l’accompagnement par un pair-aidant dès le début du parcours de soin. Le fait de pouvoir accompagner une personne dès les premiers signes de souffrance psychique, et le rôle de l’entourage dans la prise en compte de ces premiers signes (enseignants, professionnels de santé, etc.)., la nécessité d’un renforcement de la formation des soignants en première ligne pour améliorer la détection précoce.

Le rétablissement personnel dans les troubles bipolaires

Dans cette intervention, Marion Chirio-Espitalier, psychiatre, Julien Pupille, sociologue et Yves-Antoine Harscoet, IPA ont présenté une étude sur l’ETP comme levier de rétablissement dans les troubles bipolaires.

Celle-ci s’est intéressée au vécu d’un programme d’éducation thérapeutique tant chez les usagers que chez les soignants. Elle a montré que la présence de pair aidants a un effet facilitateur pour les usagers. De même, plusieurs facteurs favorisent les changements, notamment la connaissance du trouble qui renforce l’empowerment et le sentiment d’appartenance à un groupe. Il est intéressant de noter que les soignants se disent également transformés par la pratique de l’ETP tant en terme de posture, de dévoilement, d’horizontalité et d’appartenance à un groupe. La participation à des programmes d’ETP pour les personnes est donc un levier pour les usagers mais aussi un levier vers la généralisation des pratiques orientées rétablissement chez les soignants.

Tabac en psychiatrie : améliorer l’accès à la prévention et à l’intervention précoce

Dans cette session, les oratrices ont présenté comment il est possible d’améliorer l’accès à la prévention et à l’intervention précoce dans le cadre du tabac en psychiatrie.

Claire Joubert est psychiatre en réhabilitation psychosociale à Lille et Anne-Cécile Cornibert est cheffe de projet au CRR. Elles ont présenté le projet Rétaba©blissement, qui permet de co-construire des outils autour du tabagisme dans cinq centres de réhabilitation. Maria Melchior, chercheuse, a présenté une intervention autour des données actuelles sur l’efficacité de la cigarette électronique dans le sevrage tabagique

Les personnes concernées par les troubles psychiques ont des consommations plus importantes de tabac. La consommation de tabac oblige à majorer les doses de médicament car le tabagisme altère le métabolisme de plusieurs antipsychotiques. La motivation à arrêter chez les personnes vivant avec un trouble psychique est la même qu’en population générale !
Il faut que l’information ne soit pas seulement notée sur le dossier mais qu’elle serve systématiquement à ce qu’une prise en charge soit proposée
On peut chacun intégrer la question du tabac à nos groupes thérapeutiques
La consommation de tabac a des effets dans de nombreuses sphères  : troubles cardiovasculaires et même troubles cognitifs et altération des capacités intellectuelles globales alors que l’arrêt ou la réduction du tabagisme améliorent la vitesse de traitement de l’information ! Le déploiement des stratégies de prévention des risques cardiovasculaires doit être une priorité dès les premiers épisodes psychotiques.

Les oratrices de cette session mettent à disposition leur support de présentation pour qu’il puisse être réutilisé auprès d’équipes et d’usagers.

Du trauma précoce à la stigmatisation : mythes et réalités sur le trouble borderline

Partant du constat que l’accompagnement du trouble borderline a été jusqu’aujourd’hui assez limité et parcellaire sur le territoire français, les oratrices de cette conférence ont pu discuter des nouvelles évolutions autour du trouble borderline.

Clémentine ESTRIC, praticien hospitalier à Nîmes a pu intervenir sur la neurocognition : lien de compréhension entre adversité précoce et fonctionnement borderline. Elle a rappelé des chiffres essentiels, la fréquence de ce trouble dans la population française (entre 1,6 et 6%) avec un risque suicidaire majeur (1 patient sur 10 décèdera par suicide). 70 à 90% des patients borderline déclarent avoir vécu des expériences adverses précoces. Sur la neurocognition, on retrouve des altérations neurocognitives sur l’attention, la mémoire, mais surtout sur les fonctions exécutives. Ces altérations sont similaires à celle des patients traumatisés précoces. La neurocognition peut être comprise comme un pont de compréhension entre facteurs d’adversité précoce et émergence du trouble. Elle a conclu en invitant à intégrer des outils neurocognitifs à la psychothérapie, une intervention précoce dès l’adolescence, un parcours de soin coordonné et orienté sur le rétablissement, et une formation des équipes.


Luisa Weiner psychologue et professeure en psychologie a proposé un zoom sur la thérapie Comportementale Dialectique pour le trouble borderline et pour le trauma complexe.
Elle a parlé de l’invidalitation très présente dans le trouble borderline, qui vient perturber le développement de la régulation émotionnelle. Les corollaires sont un besoin d’apprendre ces compétences de régulation émotionnelle, et la nécessité de travailler sur la motivation des personnes. La TCD est la thérapie qui a le plus haut niveau de preuve pour accompagner les personnes vivant avec un trouble borderline. Celle-ci s’articule autour de 4 modalités : un suivi hebdomadaire, un suivi téléphonique, de la psychoéducation, et des consultations d’équipe. Pour les personnes qui ont un TSPT complexe, il est nécessaire d’adapter la TCD. A ce titre, la TCD trauma a été développée pour des personnes qui ont un traumatisme complexe. Largement basée sur la TCD avec ajout d’autres composantes : exposition prolongée, thérapie fondée sur la compassion, thérapie d’acceptation et d’engagement. Traitement mixte en suivi individuel et pratiques quotidiennes à domicile.

Enfin, Charline Magnin a présenté l’impact d’une journée de formation à destination des soignants sur la stigmatisation du trouble borderline. Elle a pu pointer dans son intervention la stigmatisation importante des professionnels de santé autour du trouble borderline, et l’impact de celle-ci pour les personnes concernées. La mise en place d’une journée de formation a pu entraîner une réduction de la stigmatisation. Elle appelle ainsi à un déploiement plus large de ce type de formations pour améliorer la qualité de l’accompagnement des personnes vivant avec un trouble borderline.

Le Centre ressource de réhabilitation psychosociale tient à remercier les organisatrices et organisateurs du CFP pour cette édition 2023, la qualité des interventions ont répondu aux attentes et aux enjeux de la psychiatrie de demain.