[À Lire] « La décroissance (médicamenteuse), une innovation d’actualité ? » Interview de Fabrice Berna

Retour sur la présentation de Fabrice Berna, lors de la Journée du Pôle Centre Rive gauche du Centre Hospitalier Le Vinatier qui s’est déroulée le 18 septembre dernier, et qui avait pour thème « Les soins de secteur à l’ère du rétablissement.

« La décroissance (médicamenteuse), une innovation d’actualité ? »

Interview de Fabrice Berna, Professeur de Psychiatrie, Université de Strasbourg, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Inserm U1114, Fondation FondaMental, Collège Universitaire de Médecine Intégrative et Complémentaire (CUMIC)
Retour sur la présentation de Fabrice Berna, lors de la Journée du Pôle Centre Rive gauche du Centre Hospitalier Le Vinatier qui s’est déroulée le 18 septembre dernier, et qui avait pour thème « Les soins de secteur à l’ère du rétablissement.

Votre présentation a portée sur la « La décroissance (médicamenteuse), une innovation d’actualité ? »
Pouvez-vous rapidement nous expliquer ce champ de recherche qui vous intéresse ?

"Je me suis intéressé à ce sujet car de nombreux patients traités par antipsychotiques nous demandent de réduire ou d’arrêter leur traitement… et qu’il me semblait important d’explorer si cette option était possible, pour quoi et comment s’y prendre. L’article de Horowitz en 2021 m’a fait comprendre que depuis 70 ans où les antipsychotiques existent, peu de travaux avaient cherché à comprendre comment réduire ou arrêter ces traitements.
Cet article apportait pour la première fois un rationnel psychopharmacologique pour comprendre à la fois comment faire et surtout pour comprendre pourquoi notre façon intuitive de procéder en tant que psychiatre pour réduire les traitements, augmente le risque de rechute. Le contraste était donc saisissant entre d’un côté la forte demande des patients, le fait qu’un nombre non négligeable de patients (autour de 20%) pourraient être bien équilibrés sans traitement ou en prenant des traitements de façon ponctuelle, les recommandations de réduction puis arrêt qui existent après un premier épisode… et le peu de travaux sur cette question… en miroir des très nombreux travaux portant sur la façon d’introduire les antipsychotiques, de les changer, de les associer ou encore de ceux se focalisant sur la schizophrénie résistante… "

La France est régulièrement épinglée pour la surconsommation de médicaments psychotropes, comment l’analysez-vous ?

"Déjà, la France n’est plus championne d’Europe des prescriptions de psychotropes, pour les antidépresseurs par exemple, la France n’est plus dans le top 10 des plus importants prescripteurs, ceci depuis plus de 10 ans. Cela dit, nos analyses des prescriptions des patients consultant aux centres expert schizophrénie en France, montrent que certains patients, même asymptomatiques, continuent de recevoir des doses plutôt fortes d’antipsychotiques… la déprescription peut déjà commencer par revoir à la baisse ces doses trop fortes et parfois inutiles… tout en gardant à l’esprit que certains patients peuvent avoir besoin de doses plus fortes que d’autres pour être stabilisés, il y a des grandes variations entre les individus".

Comment favoriser, selon vous, une démarche de décroissance médicamenteuse à l’échelle des services et des établissements ?

"A mon sens, en rappelant le principe du start slow go slow, c’est-à-dire, être parcimonieux dans les premières prescriptions d’antipsychotiques et de systématiquement réexaminer si la dose du traitement, une fois le patient stabilisé peut être réduite ou non".

Comment amener cette thématique dans des séances de psychoéducation et dans les enseignements de pharmacologie des internes en psychiatrie ?

"Il me semble important de dire clairement dans ces séances que la demande de réduction ou d’arrêt est fréquente chez les patients, que souvent ils n’osent pas en parler avec leur psychiatre et qu’il vaut mieux évoquer le sujet précocement avec eux pour encadrer leur éventuel souhait de réduire… ne pas en parler peut inviter les personnes concernées à vouloir expérimenter seules des arrêts brutaux avec les conséquences parfois graves que ce type d’arrêt comporte.
Pour les internes, je pense qu’il peut être rassurant pour eux de savoir que des protocoles existent, qu’il est donc possible de répondre à cette demande des patients en insistant sur le fait que cette démarche doit impliquer aussi les proches, idéalement des pair aidants. ce n’est pas juste le psychiatre et le patient seuls qui peuvent se lancer dans cette démarche. enfin, je pense important de clarifier qu’il n’y a pas de position militante à avoir : déprescrire n’est pas forcément pour tous les patients encore moins à tout moment de la maladie… elle est sans doute plus souvent possible qu’on ne le pense mais il faut raison et mesure garder. De même, il ne faut pas exagérer les risques, pas minimiser les risques, les encadrer et les réduire".

Avez-vous un mot à ajouter sur : comment envisager la décroissance dans un contexte de pathologies duelles ?

"En cas de pathologie addictive associée… la déprescription est plus à risque encore. Je conseillerais vivement de commencer par la gestion des addictions avant de commencer toute déprescription".