[Rencontre auteur] François Flaven dans son dernier roman conte l’histoire d’Alice, une jeune femme qui vit avec des troubles bipolaires

Nous avons rencontré François Flaven à l’occasion de la sortie de son dernier roman, Alice. Après deux romans historiques, il a choisi pour ce troisième ouvrage de mettre au cœur de l’histoire, Alice, une jeune femme qui vit avec des troubles bipolaires. Il revient sur ce nouveau roman, et nous parle à cette occasion de son rapport à la maladie.

Pouvez-vous nous présenter votre roman Alice ?

« Alice » est l’histoire d’une jeune femme d’à peine 30 ans qui vit avec des troubles bipolaires sans le savoir et qui est sujette à toutes sortes d’addictions. Elle veut vivre à fond sa vie de jeune femme libérée. Elle travaille comme assistante d’un présentateur célèbre d’une émission à succès qui reçoit chaque semaine des invités pour parler de leur actualité. Elle prépare donc l’émission et veille à ce que tout se passe bien en plateau.


Alors qu’elle est sur le point de commettre une énorme bêtise au cours d’une des émissions télé, les autorités célestes lui envoient un ange gardien pour l’en empêcher et pour la remettre sur le droit chemin. Hélas, Vincent, son ange gardien qui n’est encore qu’un apprenti, échoue. Alice a récupéré une lettre de l’un des invités de l’émission et le secret qu’elle découvre la met en grand danger car le propriétaire de la lettre, Gazongue, est un homme d’affaire puissant qui brigue les présidentielles.


Vincent va donc s’employer à protéger Alice et à lui faire prendre conscience qu’elle souffre de troubles psychiques qui la mettent souvent en danger à cause de comportements inadaptés. Elle va consulter un psychiatre et apprendre qu’elle est peut être bipolaire. Ses discussions avec Vincent vont peu à peu lui faire prendre conscience que sa maladie la place souvent dans des situations très difficiles et qu’elle a un comportement autodestructeur. La patience de Vincent et sa connaissance de la nature humaine vont peu à peu replacer Alice dans le droit chemin et la conduire à se soigner grâce à l’acceptation de la maladie.


Comment êtes vous venu à l’écriture ?


J’ai 52 ans et je suis capitaine de police, actuellement en congé longue maladie, longue durée. Je suis né en Haute-Savoie d’un père vétérinaire et d’une mère femme au foyer. Je suis l’aîné de 4 enfants. Je souffre de troubles bipolaires depuis l’âge de 10 ans et suis stabilisé depuis 15 ans. J’ai été diagnostiqué par une spécialiste, le Professeur Marion Leboyer, en 2004. J’ai, dans la foulée, suivi une psychoéducation.


En 1997, à l’âge de 30 ans, j’ai ressenti le besoin d’écrire. Pas d’écrire sur moi et ce que je vivais comme difficultés au quotidien, mais d’écrire des histoires, très certainement pour m’évader.

Comme j’avais soutenu une maîtrise d’Histoire qui portait sur la Louisiane française, j’ai voulu romancer mon travail d’étudiant. Ainsi est né le roman « Meschacebé » qui signifie « Mississippi » en langue indienne. J’ai écrit deux tomes et cela m’a pris quinze ans car je suis parti de rien. C’était un gros travail qui occupait l’essentiel de mon temps libre et qui m’obligeait à me poser car je souffrais à l’époque de longues périodes d’hypomanie au cours desquelles je faisais n’importe quoi. J’ai découvert une rigueur et surtout la volonté d’aller au bout malgré la difficulté, car en période d’hypomanie, on multiplie les projets mais on n’en finit jamais un seul. L’écriture m’a donné une structure, une assise.


Aujourd’hui, elle me permet de structurer mes journées, même si 40 ans de maladie m’ont usé. Par exemple, aujourd’hui, je ne peux écrire que pendant 15 à 20 minutes de suite, donc je fais des coupures tout au long de la journée. L’écriture structure ma journée. Tout tourne autour de l’écriture et de la lecture, mais tout se fait en fractionné.



Dans votre Roman, vous mettez en scène Alice, une héroïne qui vit avec des troubles bipolaires. Était-ce important pour vous de dépeindre le portrait d’une personne concernée par cette maladie ?


Oui bien sûr car je souffre moi-même de cette pathologie qui a fait de ma vie un chaos pendant 20 ans. Dans ce roman, Alice ne sait pas qu’elle souffre de troubles bipolaires et donc ne sait pas d’où lui viennent ses addictions que j’ai multiplié pour les besoins du roman. J’ai, en quelque sorte, grossi le trait. Elle va, dans un premier temps, refusé le diagnostic car cela lui fait peur. Puis, grâce à Vincent, elle va accepter la maladie et prendre la décision de se soigner pour aller mieux.


Bien sûr, dans son cas, c’est rapide et dans la vraie vie cela prend beaucoup plus de temps. Mais Alice bénéficie d’un ange gardien qui joue, en quelque sorte, le rôle d’un pair aidant. Je pense qu’à l’avenir le rôle des pairs aidants va prendre de plus en plus de place car ils vont aider les patients à apprivoiser leur maladie, ce que font d’ailleurs les séances de psychoéducation. Mais là encore je pense que la psychoéducation n’est pas assez développée dans notre pays. S’agissant de ce dernier point, je pense que les pairs aidants auront toute leur place dans les séances de psychoéducation avec les médecins et les psychologues.


Dans le résumé de votre roman, on peut lire que « Alice ne sait pas qu’elle souffre de troubles bipolaires », était-il important pour vous aussi de montrer l’errance diagnostic à laquelle font face de nombreux patients ?


Oui car les chiffres aujourd’hui disent que les patients ont une errance de diagnostic qui varie de 7 à 10 ans. C’est beaucoup trop long. Je pense que ces chiffres peuvent être facilement divisés par deux ou trois si les médecins généralistes sont formés aux troubles psychiques car ce sont eux qui sont en première ligne, notamment les médecins de famille.


Dans le même ordre d’idée, je pense que les psychiatres qui se sentent dans l’incapacité de prendre en charge une personne bipolaire ou schizophrène correctement doivent le dire à leurs patient. On ne soigne pas de la même façon une personne bipolaire qu’une personne dépressive, même si une personne bipolaire a des périodes de dépression. Je pense également que la prise en charge des malades à l’hôpital est mal adaptée. A l’hôpital, les patients sont trop livrés à eux-mêmes. Ils errent dans les couloirs avec l’impatience de sortir. Ce n’est pas un temps de soins suffisant. Je pense par exemple qu’un patient nouvel entrant devrait avoir la possibilité de s’entretenir avec un pair aidant pour, dès le début de l’hospitalisation, enclencher un processus de rétablissement. De même, le fait de parler avec un pair aidant bien formé pourrait accélérer le diagnostic car on se livre plus facilement à un pair.


Vous avez participé à des actions de lutte contre la stigmatisation des troubles psychiques. Pourquoi ce sujet vous tient-il à cœur ?


L’entourage des patients, qu’il soit familial, amical ou professionnel est désarmé face à ce type de troubles. Mais plus que désarmé, il a des préjugés très forts qui tendent à ostraciser les patients et à les isoler. C’est très vrai dans le monde du travail. J’ai caché ma maladie à ma hiérarchie et à mes collègues de travail pendant 25 ans. Pour moi, il était impensable en tant que capitaine de police d’avouer que je souffrais d’un trouble mental.


Les gens pensent que les personnes vivant avec des troubles bipolaires sont folles, ou inconséquentes, ou peuvent « péter un plomb » tout moment ou qu’elles ne sont pas fiables. Il en va de même avec les personnes schizophrènes dont on pense qu’elle sont particulièrement dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui. Et aussi avec les dépressifs dont on pense qu’ils manquent de volonté. Ce manque de connaissance a pour effet de porter un jugement très dur envers les personnes souffrant de troubles psychiques et comme conséquence de les exclure de pans entiers de la société.

Nous vivons dans un monde où la différence, l’altérité est mal perçue, dans un monde où la normalisation des comportements et des propos est recherchée afin de faire de nous des suiveurs, de nous réduire à un statut de consommateurs. Il est intéressant de constater d’ailleurs combien cette tentation est grande puisque tout dernièrement un article est paru prétendant que les personnes rebelles, difficiles qui ne rentrent pas dans le moule souffrent en fait de maladies mentales. C’est très symptomatique d’une époque qui cherche à tout normaliser pour que la contestation soit étouffée avant même qu’elle ne naisse. Or l’humanité, c’est l’altérité, cela l’a toujours été, l’art, les différentes cultures en sont la preuve. C’est d’autant plus intéressant à constater qu’aujourd’hui un Hugo, un Verlaine, un Musset, un Baudelaire ou un Rimbaud n’aurait pas sa place. Quelle perte pour l’humanité !


Les personnes souffrant de troubles psychiques disent quelque chose de nous et de nos sociétés. Ce monde va très mal, nos sociétés vont mal car elles tiennent compte de moins en moins de l’humain. On peut même se demander, avec raison gardée, dans quelle mesure vivre pleinement bien sa vie dans un monde qui va aussi mal n’est pas suspect. C’est une boutade, certes, mais qui pose néanmoins question.